La rentrée s’est approchée doucement.
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Les activités reprennent. Elle écrit depuis 10 ans au sein d’un groupe qui compte beaucoup pour elle. Il comprend des fidèles, et il s’enrichit ponctuellement.
Avant chaque premier atelier de septembre, elle se demande qui sera dans « sa classe ».
Il arrive que son cahier soit fini. Se pose la question : en acheter un nouveau, ou recycler un bloc-notes déjà entamé ?
Si elle est joyeuse, elle file au bazar, au rayon fournitures. Elle est capable d’y rester des heures, à choisir son cahier de l’année. Mettre le prix signifie donner de la valeur aux bribes qui s’échappent de son stylo. Pourtant, il arrive que ses écrits lui donnent l’impression de salir un si joli papier, tellement ils sont plats. A moins que ce ne soit la banalité du crayon qui n’en réduise l’intérêt.
Si elle est très joyeuse, elle ajoute dans le panier de ses achats un stylo neuf.
Elle hésite : revenir au stylo-plume, cadeau empoisonné de l’enfance et des années de raison ? Cadeau particulier qui se recharge de cartouches plus ou moins rares à trouver. Réserves qu’elle n’a pas toujours sur elle. Et drame du changement de couleur au milieu d’une lettre enflammée. Excuse-moi mon chéri, mais je n’ai plus d’encre bleue, alors je continue en noir. Ou bien déchirer le tout et recommencer la lettre, pour que le lecteur ne lise qu’une seule couleur.
Le stylo-plume, c’est aussi ces secousses répétées pour que l’encre coule, selon la qualité de l’instrument.
Ce sont des accidents, aussi ; l’encre qui s’étale en gros tas, ou qui échoue sur des chemisiers marqués à jamais.
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Une fois ses emplettes terminées, elle se sent renforcée pour démarrer la saison des ateliers.
L’ancien cahier rejoint ses prédécesseurs. 10 ans d’ateliers, une succession de cahiers qu’elle a souvent pris soin de sélectionner, et qu’elle garde à ses côtés.
Son évasion au rayon des stylos et des crayons la ramène à son entrée en 6e. Pour son père, cela avait été important. Des cahiers de marque, des feutres et crayons de couleurs neufs et onéreux. Un nouveau stylo-plume aux cartouches longues. Elle avait même pu demander de l’encre bleue des mers du sud. Et le Graal : un nouveau cartable.
Le père avait calligraphié les nom et prénom de sa fille sur chaque page de garde des cahiers. La mère, elle, était cantonnée à couvrir les livres scolaires.
Chaque achat de nouveau cahier assorti de crayons ou stylos lui rappelle ces rentrées des classes solennelles. Aujourd’hui, elle échappe à la photo souvenir devant l’immeuble, pour exhiber son matériel tout neuf. Normal, elle n’aime pas qu’on la prenne en photo.