Les étés de leur jeunesse

Merde, merde, merde, elle cherche son mouchoir. Elle est pourtant certaine d’en avoir glissé un dans la poche de son manteau. Ce froid pénétrant lui fait monter la goutte au nez, comme aurait dit sa grand-mère. Quelle idée de mourir en plein hiver, à l’heure où les feuilles mortes se décomposent dans l’humidité des jours sans soleil, sans lumière. Cernée par les ombres grises qui suivent l’allée qui conduit à l’église, elle pense déjà au froid qui va envahir ses bottes, remonter le long de ses jambes et stopper la digestion du mauvais café croissant qu’elle a pris au café de la gare en descendant du train. Le film « ceux qui m’aiment prendront le train » lui revient en mémoire. Elle ne sait plus très bien si celui qui a choisi de tirer sa révérence la semaine passée a été un amour de sa lointaine jeunesse. C’est vrai qu’il avait été très beau, charmeur, beau parleur. Elle reconnait qu’elle avait rêvé de lui pendant toute la période où elle l’avait observé de loin. Mais quand elle avait réussi à se rapprocher, d’abord envieuse de sa petite amie du moment, elle avait vite compris que le bellâtre était surtout content de lui et de ses conquêtes, pour frimer auprès de ses copains. Elle l’avait descendu de son piédestal en une saison. Alors pourquoi venir aujourd’hui alors que leurs rencontres avaient été plus qu’épisodiques pendant les dernières décennies. Le coup de fil de Catherine, son amie depuis toujours, l’avait prise de court. « Tu vas venir n’est-ce pas, lui avait-elle dit. » Elle était restée un moment sans voix, ne sachant pas comment se défiler. Catherine s’était faite plus pressante, « tu ne peux pas faire l’impasse sur tous les étés que nous avons passés tous ensemble, sur tous nos bons souvenirs. Reconnais que grâce à lui, on a fait des trucs incroyables, il avait toujours des tas d’idées, des tas de bons plans ». Elle avait acquiescé mollement, se souvenant qu’il se servait surtout des autres pour arriver à ses fins et qu’il profitait des malheureux qui avaient la mauvaise idée de lui parler des « choses » sympathiques qu’ils possédaient ou connaissaient. Mais bien sûr, si elle en avait parlé sur le moment, elle aurait été mise au ban et tout le groupe l’aurait rejetée, l’accusant d’être jalouse, rabat joie, négative. Elle se serait retrouvée toute seule pendant tous les mois de l’été. Elle n’avait jamais pu en parler franchement avec Catherine qui se mourrait d’amour pour ce crétin. Elle se disait même que Catherine l’était toujours car elle ne manquait pas une occasion de lui parler de lui quand elle le croisait dans le village quand elle séjournait dans sa maison de campagne. A croire qu’elle choisissait d’aller marcher dans les chemins près de sa propriété dans l’espoir de l’apercevoir sachant qu’il ne l’avait jamais invitée à entrer.

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