La conscience de la folie

Je déteste le mot «schtroumf ».

Il y a quelques jours m’est venue en mémoire cette expression de Camus : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

Schtroumf ne nomme rien, bien au contraire, c’est l’ellipse du paresseux. Il crée ces zones d’ombre où peut parfois venir se loger la folie. Il n’affute rien et je le fuis comme la peste.

Alors quand, devant ce tableau de Kandinsky que j’aime tant, j’ai entendu comme seul commentaire : on dirait qu’il a schtroumfé son chapeau, mon sang n’a fait qu’un tour  et j’ai bouilli de consternation et d’indignation.

Je préfère qu’on y voie une amibe gluante, une grenouille flottant dans un étrange plasma, une marque de folie peut-être. Ou plutôt qu’on n’y voit rien, sinon ce que chacun d’entre nous  en ressent au creux de son être. Il me semble que la peinture ne cherche pas à décrire la réalité, mais une réalité. La notre, au moment où nous la regardons, celle du peintre quand il posait les couleurs sur la toile. La réalité a plusieurs niveaux de conscience et je choisis celui qui me plait.

Alors quand sur cette toile que je connais si bien, j’ai vu se détacher nettement, sans contestation possible, le dessin d’un petit bonhomme bleu à un chapeau blanc, je me suis senti très mal. Comme si nommer cette immonde chose avait eu le pouvoir de la faire apparaitre. La pensée magique de l’enfance qui soudain, se matérialisait, comme dans un cauchemar étrange.

Regarder sa montre, il est 15 h 30, la regarder de nouveau, il est toujours 15 h 30. Compter jusqu’à 10 et regarder encore la toile et comprendre qu’on ne rêve pas : le schtroumf bleu me défie toujours.

J’ai peur. Ce schtroumf n’existait pas il y a encore quelques minutes, dans aucune de mes réalités, de cela je suis certaine. Mais lentement le poison du doute s’insinue en moi et je sens une sueur glacée m’envelopper d’une main inexorable.

Il existe encore un autre niveau de conscience en moi, un niveau où celle-ci s’efface et se délite, me laissant face à la folie contre laquelle je me débats depuis toujours.

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