Je m’appelle Avatar. Alvarez Avatar. Pour que je retienne mon nom, mon père m’a fait ânonner Alvare – Zavata – ®.
- C’est une marque déposée, me disait-il.
Bof. En héritage il m’a laissé une vieille bagnole toute cabossée.
Il était têtu, le cabochon dur comme un rocher.
De Monaco à Lisbonne, il l’a usée.
J’eus le droit de la conduire à 19 ans. Pas avant.
Ce père pesant m’oppressait.
Il finit sa vie rue du Puits. Qu’il s’y noie ! Ai-je honteusement pensé.
Un appel, un soir. Une phrase lapidaire : « C’est fini ».
Ma sœur déclara à toute la famille drapée de noir :
- Il fit un tête à queue et décida de partir dans la direction opposée. »
Le contrôleur annonça d’une voix morne :
- Salut les gonzes, bisous les donzelles. On n’est pas dans la merde… Notre nouveau barman s’est fait la malle. J’espère que vous avez prévu de boire et manger, car nous serons à sec jusqu’à Montélimar.
Madeleine soupira. Encore ! Cette fichue ligne Saint-Lazare – Montélimar était une catastrophe.
Dans l’émotion du départ, elle avait oublié de prendre son petit sac contenant une gourde, quelques fruits secs et son magazine de jeux. Sa mère l’avait agrippée si fort, sur le quai, qu’elle n’était pas parvenue à récupérer le sac de ravitaillement. Seule une enveloppe avait pris place dans la poche gauche de Madeleine. Elle l’ouvrit pour en extraire un billet de 20 francs. Ma mère a dû rater le passage à l’euro, se dit-elle.
Sur une banquette du train, un journal de Mickey. Un coup d’œil à gauche, puis à droite. Personne. Elle l’emprunta. Par chance, le propriétaire de la revue avait abandonné un crayon. Elle put alors relier des points numérotés ; un soleil, puis une lune. Elle procédait tout doucement, pour accompagner le temps.
Son wagon était vide. La prochaine station ? Elle ne savait plus ; Et le contrôleur ? Où était-il ?
Elle palpa ses poches, ses épaules. Ouf, elle avait gardé son sac à main, qu’elle portait dans le dos. Madeleine s’amusa à verbaliser une chek-list :
- Ai-je mes clés ?
- Clés OK.
- Ai-je mes papiers ?
- Papiers OK.
- Ai-je mon téléphone ?
- Téléphone OK.
- Ai-je du réseau ?
- Réseau KO.
Madeleine se leva, en quête de barres pour la relier au monde.
En vain.
Elle contempla les vaches qui la regardaient passer.
Depuis qu’il a fait demi-tour, Alvarez roule à vive allure… enfin au rythme d’un moteur poussif.
Il dépasse les tours grises de Brest. La vieille, telle son ancien maître, semble rendre l’âme.
Il gambade, lui, le chien, se dit-il, alors qu’un braque de Weimar le double sur la droite.
Arrêt. Terminus. Tout le monde descend. Un filet de fumée s’échappe du capot. Alvarez n’a d’autre choix qu’abandonner la voiture du père.
Bah, il ne pourra plus la lui réclamer. Et tant pis pour sa sœur si elle voulait la récupérer.
Sans savoir où aller, Alvarez court. Il se répète cette phrase : Où vais-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? Et il éclate de rire sous la pluie qui l’a rattrapé. Ce crachin breton qui lave sa tristesse. Une sonnerie l’interrompt.
- Monsieur Zavata ?
- Non, my name is Avatar.
- C’est ça, et moi James Bond ! Dis-donc, c’est toi le glandeur qui devait remplacer Paulo au bar du train n° 2484 en direction de Montélimar ?
Le silence se fait. Alvarez avale sa salive.
- Euh… Je crois qu’il y a une confusion. Vous cherchez un dénommé Zavata ; vous avez dû vous tromper de numéro.
- Ecoute-moi bien, le merdeux. T’as intérêt à montrer ta bobine au bureau des Ressources Humaines demain à 11h précises. Monsieur Félix Duchat te recevra. Compris ?
Alvarez bredouille un Oui imbibé de honte.
Madeleine pestait contre le barman qui n’était pas là. Elle prit ses mains, et les plaça pour former un cadre, tout en fermant un œil. Et maintenant, je suis camera-woman ! Le paysage défilait devant elle. Les vitres poussiéreuses du wagon atténuaient la clarté de l’image.
Un tapotement sur l’épaule la fit sursauter.
- Hem, vous allez bien, Mademoiselle ? demanda un homme en uniforme coiffé d’une casquette de la SNCF.
- Oui, oui, répondit-elle. Vous voyez, je fais du repérage pour on prochain film.
- Tiens donc !? Et qu’est-ce que vous voulez filmer dans ce trou perdu ?
- Eh bien… ce sera l’histoire extraordinaire d’un fakir venu percer le mystère de la fabrication des nougats.
- Ah ! C’est bien gentil tout ça, mais je ne suis pas venu pour pour discuter de contes de fêlées avec vous. Votre billet !