Je te déteste moi aussi

Je te déteste moi aussi ! Je l’ai pensé très fort, mais je ne l’ai pas dit. Peut-être aurais-je du ? Cela lui aurait cloué le bec et nous aurions profité d’un peu de silence. Chargé, certes, mais néanmoins reposant pour nos tympans.

Fermer la porte. C’est ce que j’avais fait en premier, histoire que notre petit règlement de compte n’envahisse pas toute la maison. C’était plus ou moins peine perdue, compte-tenu des qualités acoustiques sans doute médiocres de la dite porte. Sans compter celles du plancher, qui ne devaient guère être meilleures. Heureusement mes frères, arrivés plus tôt, étaient partis faire du vélo. C’était devenu une sorte de rituel, dès notre arrivée dans cette maison, hop ! nous enfourchions nos vieux biclounes et nous partions mettre nos mollets à l’épreuve. Il va sans dire que j’aurais préféré être avec eux, à cet instant précis. D’autant plus que si mes calculs étaient exacts, ils devaient avoir entamé la grande descente du retour, quinze minutes sans un coup de pédale, juste à se laisser glisser entre les feuilles mordorées des frondaisons automnales. Ce sera pour une autre fois, en ce qui me concerne. Pour l’instant, je me concentrais plutôt pour faire entendre mon point de vue sans trop monter dans les tours. Car si mes frères ne pouvaient pas m’entendre, j’étais moins sûr en ce qui concernait ma mère. Je pariais très fort sur son audition vieillissante. Pour le coup, j’étais bien content qu’elle ait toujours refusé de s’appareiller. Avec un peu de chance, elle prendrait les fortes récriminations d’Amélie à mon égard pour de l’enthousiasme. Il faut dire qu’Amélie avait l’émerveillement aussi sonore que la colère. Elle avait eu, jusque là, la bonne idée de n’exprimer que le premier en présence de ma famille. J’étais mal à l’aise à l’idée que le deuxième versant de sa personnalité ne soit révélé à l’occasion de ce séjour censé nous ressourcer.

Cela faisait longtemps que l’orage grondait, apparemment. J’aurais dû apercevoir les nuages noirs s’amonceler. Et d’ailleurs, sans doute les avais-je aperçus. Mais j’avais préféré les ignorer, priant pour qu’une bourrasque providentielle ne vienne sauver les premières heures de ce week-end à la campagne. Mais il ne faut jamais compter sur la providence dans ces moments là, je le savais pourtant bien. Les premiers éclairs étaient tombés dès notre arrivée à l’étage. Je l’ai senti à la façon dont Amélie avait lâché sa valise sur la moquette surannée de cette chambre que j’aimais tant. Le tonnerre de sa belle voix avait immédiatement retenti, prouvant que le point d’impact était très proche, m’étais-je, pour ainsi dire, mentalement amusé. Lorsque que nous étions petits, mon père nous avait appris à calculer la distance à laquelle la foudre était tombée, en comptant le nombre de secondes entre l’éclair et le tonnerre. J’avais vécu plusieurs orages nocturnes, dans cette même chambre, un peu effrayé, mais éloignant le danger mentalement en égrenant les secondes de silence avant les terribles grondements. Dans le cas présent, donc, zéro secondes.

– Il n’y a pas que les rêves dans la vie, avait-elle soudain crié. J’ai vite compris que cette réplique avait mûri pendant tout le trajet, voire pendant une partie de la nuit précédente. A vrai dire, l’air avait sans doute commencer à se charger en électricité durant le dîner de la veille, au demeurant très agréable, chez Muriel et Laurent. J’ai immédiatement su à quoi elle faisait allusion, à quel moment précis de la soirée, à quelle parole imprudemment prononcée, alors que mon esprit commençait à s’embrumer sous l’effet de l’excellent Brouilly dont Laurent nous gratifiait. On ne se méfie jamais assez des beaujolais supérieurs, aurais-je pu une nouvelle fois m’amuser, en d’autres circonstances. C’est incroyable comment quelques mots apparemment inoffensifs peuvent se condenser en une petite graine vicieuse que le terreau bien riche de la vie de couple va s’empresser de faire germer, pour aboutir à l’éclosion d’une belle fleur puante. En l’occurrence, puisque nous en sommes arrivés à la métaphore végétale, il s’agissait ici d’une rose, ou d’un chou, comme vous voudrez, qui reste désespérément vides. Ou de cigognes au chômage. Ne faites pas ceux qui ne comprennent pas. Il faut dire que Muriel et Laurent ne les avaient pas ménagés, les cigognes, leur imposant quatre allers et retours. Alors, forcément, plus le temps passait, plus une soirée chez eux pouvait prendre les allures d’un terrain miné sur lequel Amélie et moi nous engagions imprudemment. Il fallait bien que cela finisse par exploser.

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