J’ai mis mon ciré. Je suis sorti sous la pluie bretonne, battante, drue, mouillée ; qui se précipitait à bas d’un ciel gris et lourd, poussé par le vent. Mais c’était une pluie « pas froide ». J’aime bien cette pluie tempérée. Je la sens pleine d’énergie. Elle caresse la peau, l’humidifie, la vivifie.
J’ai marché dans le chemin, puis le chemin s’est rétréci entre les ronces. Je suis passé dans le champ de blé. J’ai cueilli quelques épis. Puis je suis rentré à la maison revitalisé, apaisé.
Avec mon fils, on a moulu le blé dans un mortier en pierre, pour faire un peu de farine. Très peu en fait, juste pour voir. Puis, avec cette farine, complétée de farine achetée dans le commerce, nous avons préparé une pâte, que nous avons pétri à la main, longuement, tranquillement, naturellement bien présents à ce que nous faisions.
Mon fils était ravi. Il se voyait déjà boulanger. Finalement, ce n’était pas si compliqué que ça ! Faire du pain. Faire son pain.
Restait la cuisson. On a allumé le four. Laissé la pâte gonfler. Puis, quelques heures après, nous avons regardé attentivement, bouche bée même, à travers la vitre du four, la croûte se former puis craquer. Là, on a sorti le pain du four, en faisant attention à ne pas se brûler les doigts. On a laissé le pain refroidir avec impatience. Et puis…on a craqué à notre tour, et on l’a mangé, tout entier…Il était plutôt mal monté. La pâte était un peu trop dense. Mais ce n’était pas grave. Nous lui avons trouvé un goût unique. Un goût différent, incomparable. Aucun autre pain ne pouvait être à la hauteur. C’était avec notre sueur qu’il avait été fait, et ça n’avait pas de prix !
Nous avons recommencé toutes les semaines, pendant six mois (sans la cueillette des épis toutefois…). Et je dois dire avec fierté que l’on a commencé à maîtriser un peu mieux : la température du four, et le temps de cuisson, à ajuster notamment en fonction du taux d’humidité de l’air…Une fois qu’on maîtrise un peu, c’est un vrai jeu.
Mais on a quand même fini par s’en lasser, comme quoi on peut se lasser de tout. D’abord, on a diversifié : brioche, pain aux graines, pain au maïs, pain à la bière, etc. Et puis l’Automne est arrivé, et il y a eu des cèpes dans les bois pas loin de chez nous. Pendant deux mois, on a mangé des cèpes « à toutes les sauces » : cèpes poêlés, omelette aux cèpes, velouté aux cèpes, ragoût aux cèpes, tarte aux poireaux et aux cèpes…et donc, entre la cueillette et la cuisine, on n’avait plus le temps de faire le pain. Et puis, il n’y a plus eu de cèpes. Mais personne n’a refait du pain. On n’en a même pas parlé, c’était tacite, accepté par tous.
On ne se berçait plus d’illusions, le pain du boulanger était quand même meilleur que le nôtre. C’est pas mal la civilisation aussi, quand chacun a son métier et fait profiter les autres de son excellence dans son domaine… On était rassuré. En cas de guerre ou d’accident nucléaire, on saurait faire notre pain ! Même si on devait rester deux ou trois mois enfermés, confinés dans notre maison !
Et puis, nous étions devenus plus exigeants avec le boulanger. Quand il y avait un goût anormal, ou simplement nouveau dans le pain, on lui demandait d’expliquer, tout de suite, d’où ça pouvait bien venir. Une fois, il a essayé de nous mener en bateau, et on ne l’a pas laissé faire. Depuis il a compris, et on s’entend bien lui et nous.