Repas de fête

Elle a sorti son tablier, un grand tablier bleu foncé qui l’enveloppe jusqu’à mi jambes. Elle a consulté de nouveau ses fiches, elle a hésité, regardé par la fenêtre le marronnier fracturé. Songé à la dernière tempête. Quelques spots éclairent la cuisine, le plan de travail, la plaque de cuisson toute neuve. Deux branches claquent sur la vitre. Il fait encore jour mais il est temps de se remettre au travail. Ce soir Julia a invité treize personnes. Tant pis pour les superstitieux. Famille proche et amis, ce soir elle les régale, ce soir elle sort le grand jeu. Lorsqu’elle a dû vider la maison de sa mère elle a trouvé deux grands faitouts qui lui rappellent tant de souvenirs. Elle les a utilisé pour préparer le bourguignon. Au saut du lit elle a longuement hésité entre plusieurs recettes. Jean préfère celle-ci mais Anaïs préfère celle- là. Elle a tiré au sort. Le bœuf a gagné. Le caddie bien rempli, elle est rentrée chez  elle, a bu un café ,et s’est mise au travail, alerte, efficace, compétente. Quel plaisir de découper avec ces deux couteaux neufs qui tranchent et émincent à la vitesse de l’éclair. Vite déboucher le vin ! Elle entend la voix de son père «déboucher   au minimum cinq heures avant le repas pour un bon Bordeaux  et les huîtres au frais, pas dans le réfrigérateur et le champagne ça se tient par le cul pas par le goulot! » Qu’est ce que son père pouvait l’énerver quand elle avait dix- huit ans avec ses manies concernant toutes ces histoires autour de la bouffe. Elle, elle allait manifester pour le droit à l’Ivg. Comme si elle avait le temps de se préoccuper de tous ces trucs de Bourges!!

ce soir elle affiche un sourire moqueur, ce soir elle se regarde entrain d’appliquer les mêmes règles avec la même rigueur. Elle a mis la viande à cuire dans le bouillon carmin, en respectant bien les temps. Une odeur de clous de girofles et de poivre de Madagascar  envahit la cuisine. «  le seul qui soit réellement odorant et parfumant.. tu m’écoutes Julia ? » la ferme papa, c’est bon j’ai bien choisi le poivre !!!la pâte à tarte est prête et les pommes épluchées.  pas de voix d’outre tombe, la pâtisserie c’était, pour son père, l’affaire des femmes. Elle sait jouer du couteau avec une dextérité de samouraï. Son cousin Alphonse qui, autrefois, était amoureux d’elle, sera là aussi ce soir. Ça c’est un moteur puissant, il ne faut rien rater. Ma pauvre fille, se dit Julia, non seulement tu entends des voix mais tu en es arrivée à éplucher des fruits pour plaire à  un vieil amoureux. C’est consternant. Un peu de cannelle sur les pommes,  du sel sur la première entrée et du cumin sur la deuxième. Julia s’assied un instant, les chevilles douloureuses, lèche la cuillère de l’entremet et se dit qu’elle a bien mérité un petit mojito  puis  un second et la voilà qui s’assoupit dans sa cuisine. On sonne, les premiers arrivent déjà. En sueur, le tablier autour des reins,  pas rafraîchie, pas maquillée, elle leur ouvre la porte. Je dois être toute rouge se dit Julia qui sent ses joues en feu. De la cuisine parviennent des effluves qui font déjà pousser des « oh !» et des « ah! »ce sera une belle soirée.

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Une réponse à Repas de fête

  1. Sylvie W dit :

    J’aurais aimé être invitée: ca sent tellement bon. bravo pour savoir nous faire saliver comme ça!, Sylvie

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