Tehachapi

Je me suis souvent demandée à quoi correspondaient ces initiales JR. On m’a dit « c’est un artiste de street art » des visages, des milliers de photos. J’en ai cherché dans les rues des villes. En vain. JR où te caches- tu ? Je n’y pense plus.

Dans la douceur d’une journée printanière, à Londres, je marche avec ma nièce Lilith au bord d’une rivière, dans une banlieue paisible. Sur un toit en pente j’aperçois au loin des visages, un œil malicieux agrandi au centième. Une foule de visages aux éléments démultipliés. Une foule au milieu de laquelle chaque visage garde pourtant ses particularités. Je suis impressionnée et je l’oublie. JR deux initiales, parfois aperçues dans un magazine. Des articles toujours louangeurs. Je le redécouvre vraiment lorsqu’il travaille avec Agnès Varda. Sa silhouette mince fait le buzz : chapeau noir posé sur le crâne à la Joseph Beuys. Jeune homme sympathique, il parle avec enthousiasme de son travail, en agitant les mains, en inclinant la tête. Des lunettes de soleil métalliques complètent son image. Depuis Picasso et son éternel tee-shirt à rayures certains  artistes l’ont compris, pour qu’on se souvienne de toi, garde toujours le même détail vestimentaire. Tout de même je l’oublie.

Et puis le revoilà dans la liste des films de la semaine : JR « Tehachapi ». La pratique artistique comme thérapie. On y va ? demande mon fils. On y va !

Tehachapi c’est un lieu de violence et de peines, peines subies, peines infligées, c’est un lieu de vies sacrifiées, de vies condamnées. Des murs gris, un  ciel bleu californien, une étendue désertique , au loin des montagnes. JR franchit les grilles, lunettes, chapeau, démarche souple. « Hello, how are you ? » ils sont assis autour d’une table ovale dans une pièce sans fenêtres. Tous des criminels condamnés à perpétuité, condamnés à vingt ans, à trente ans, souvent condamnés à 14 ou 15 ans. Jeunes sans jeunesse pris dans les filets des gangs. Il leur explique longuement sa démarche, le déroulement de son intervention. Il les photographie dans leurs tenues grises, avec tous leurs tatouages. Puis il les invites à coller avec lui ces photos dans la cour de la prison. A mesure que les jours passent on les voit sourire, reprendre vie. Les photos envahissent tout l’espace jusqu’à de grandes cages métalliques à la topographie maléfique. «  j’y ai passé 10 ans » murmure un homme au visage tout rond. « Dans cet isolement j’ai pris conscience  de mes crimes » raconte un autre.

On s’étonne, on s’émeut, un sanglot coincé dans le larynx,  en écoutant leurs histoires. A JR ils ont dit « vous nous avez traité comme des êtres humains, on ne vous oubliera jamais », à JR ils ont dit « j’ai changé au fil des années, je ne suis plus le petit monstre de 14 ans. Mais avec toi, je vois tout autrement, j’ai envie de préparer ma réinsertion », un autre a dit : « merci, tu m’as redonné de l’espoir »

C’est un film qu’on n’oubliera pas.

 

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