Dégénérescence. Le diagnostic a été posé.
– Je te dis que je n’ai pas une gueule de dégénérée ! martèle Odette, petit bout de femme aux cheveux blancs rares, sur une tête fripée.
– Mais non… mais, Maman, tu es malade. Et l’expansion de ton trouble nous invite à t’installer dans une maison médicalisée. Bientôt, tu ne verras plus.
Paul essaie depuis des mois de convaincre sa vieille mère d’accepter de déménager.
– Tu m’emmêles avec ta démêle-là ! s’entête-t-elle.
Odette ne retient de l’acronyme DMLA qu’une chose : les emmerdements à venir.
Dans le service d’ophtalmologie, elle s’invente des tests d’acuité visuelle. Le médecin se déshabille derrière la porte vitrée. Quelles conséquences puis-je en tirer ? Il porte un boxer rouge, ou un slip kangourou noir, ou bien… rien du tout ! C’est un homme nu sous sa blouse ! Si c’est de la dégénérescence, ça, cela se saurait.
Odette s’obstine. Tant qu’elle verra, elle restera chez elle, à caresser son chat et donner des carottes au lapin. Le contraire ne marche pas ; le chat a horreur des carottes. Tant pis s’il est grognon, seules les caresses le rendent aimable.
Régulièrement, Paul rend visite à sa mère, histoire de vérifier qu’elle n’a pas réinventé l’aménagement de son intérieur. Le mois dernier, il avait sorti le lapin du lave-linge et le chat du placard. Ah, maman a encore dérapé. Elle a rangé le beurre dans la salle de bains. C’est bénin. Ailleurs, elle a confondu farine et lessive en poudre. Tant qu’elle ne la sniffe pas… Paul patiemment démonte les bacs du lave-linge pour les vider. Il se sent tout nu dans ce grand désarroi. Maman veut rester là, qu’elle y voie ou pas.
Dans sa famille, on meurt très vite en établissement de santé. Si elle doit partir, ce sera dans son lit, dans ses draps, sur ses terres.