La lenteur malgré soi

Le robinet coule, goutte après goutte. Combien de gouttes pour remplir la carafe ? Multiplier le nombre de gouttes par le volume de chacune et en déduire la quantité d’eau dans le récipient.

 

Je n’ai rien d’autre à faire. Le temps coule entre mes doigts.

 

Devant moi s’étire une limace. C’est moche, une limace. Et c’est lent.

 

Moi, je voudrais détaler comme le lièvre. Mais je suis clouée dans un fauteuil, la jambe plâtrée et le bras en écharpe.

Putain d’accident.

Ma vie speedée réduite à néant. Une limace, au fond, c’est un escargot nudiste, qui aurait abandonné sa maison sur une aire d’autoroute de bave.

Elle passe devant moi. Lentement. Mais… qui est le plus rapide ? Limace ? Escargot ? Et si j’organisais une course ?

 

Je n’ai rien d’autre à faire.

 

Cette année, pas de vacances ; je suis en arrêt longue maladie. Putain d’accident. Adieu Bali. Adieu le Cambodge. Adieu l’Asie.

Je passe du fauteuil au lit, essaie de m’appuyer sur une béquille.

Le kiné qui chaque jour me rend visite me recommande d’y aller doucement. Je voudrais être déjà à demain, à après-demain, au futur sans plâtres. Il lève les yeux au ciel.

– Soyez patiente, serine-t-il.

Mais mes oreilles n’entendent pas. Pas ces mots-là.

Moi qui ai si souvent raillé ma sœur paresseuse, me voici condamnée à me sentir comme elle, oisive. Quelle plaie ! Je ne suis pas faite pour cette vie-là, à flâner le nez au vent, à m’émerveiller des fleurs naissantes sur la pelouse.

Dans ma vie speedée, j’ai toujours regardé devant, jamais à côté. Et aujourd’hui, je suis coincée.

 

Tiens, la frangine arrive.

– Je viens t’initier aux douceurs de la paresse, commence-t-elle.

Je manque de m’étrangler avec ma salive.

– Viens voir, il y a un nid dans l’arbre au fond du jardin.

Et elle pousse mon fauteuil. Je me redresse comme je peux, attire la béquille à moi.

– Non, assez lambiné ! Je veux y aller debout !

Ma sœur soupire.

– Tu sais, un grand sociologue a fait l’éloge de la lenteur. Tiens, je t’offre son livre.

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