Visite au parloir

La porte métallique avait claqué dans son dos. Elle s’engagea dans le couloir vide et gris. Ses pas résonnaient alors qu’elle avait la sensation de glisser sur l’eau. Une porte était entrouverte. L’écriteau « parloir » était bancal, il manquait une vis, une autre était rouillée.
Elle s’avança vers une chaise, la souleva lentement pour ne pas faire de bruit et attendit. Une sonnerie stridente retentit et une foule d’hommes orange envahit la pièce. Un homme s’assit en face d’elle. Elle lui adressa un sourire timide et souffla un « Bonjour, Monsieur ».
Il lui rendit son sourire et commença à lui dire qu’il avait trop fait le mariole dans sa vie. Ils entendaient les autres codétenus se marrer. Il continuait de lui raconter sa vie : tomber pour vol de bagnole, une babiole par rapport au tueur de la table d’à côté. Elle tourna la tête discrètement, le visage de l’homme était marqué par la variole, avait-elle pensé.
L’homme assis en face d’elle n’avait plus rien à dire. La parlotte, c’était pas son fort. Il avait calé en pleine explication de son délit.
Elle se pencha pour attraper son sac, elle en sortit un calepin, un stylo et une boîte en plastique avec une petite cuillère. Elle tendit la boîte et la cuillère à l’homme puis prit des notes. L’homme l’ouvrit. Il en mangea une à deux cuillerées puis repoussa la boîte. En dépit des apparences, la crème était rance. Il avait le nez pour ça depuis qu’il avait mis les pieds ici.
Il lui avait alors raconté comment il fallait faire la crème pour qu’elle reste onctueuse même après un long voyage. Il aimait cuisiner, il aimait entendre crépiter les oignons dans la poêle. Ses oreilles donnaient le signal à la bouche pour se préparer à un festin.
A présent, il se rendait bien compte qu’il perdait ses facultés et ses sens. Tout est incolore, inodore, insipide ici.
Elle ferma son calepin, le rangea dans son sac avec le stylo. Elle referma la boîte avec la crème. Elle se leva, le salua brièvement. Il lui sourit, lui demanda si elle reviendrait prochainement. Elle ne répondit pas.
Elle retourna à sa voiture, mit les clefs sur le contact, régla le rétroviseur. Elle se regarda quelques secondes dans le miroir. Des larmes coulaient de ses yeux. Elle ouvrit la boîte à gants pour y sortir des mouchoirs.
Elle démarra, roula vite, très vite pour retourner chez elle.
Dans l’entrée, elle posa les clefs sur la console, ouvrit le tiroir pour y jeter le calepin.

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