Des carottes râpées en entrée, ça vous va ? Ça rend aimable paraîtrait-il et parmi vous, je ne dirai pas qui, y en aurait bien besoin. Et puis, ça donne bonne mine aussi. Là aussi, sans pointer du doigt mais y a des mines cadavériques qui devraient prendre double ration.
Depuis quelques semaines, elle exprimait sans filtre la moindre pensée. Ça lui était venu sur un coup de tête au sens propre comme au figuré. Elle avait décidé la seconde d’après qu’elle ne laisserait plus entrer la tristesse. Elle avait modifié son alimentation pour ne manger que ce qui lui faisait plaisir et qui rendait les gens plus heureux. Les carottes, selon elle, en faisaient partie. Elle avait décrété d’en faire profiter tous les voisins de son immeuble. Des plus sympas aux plus ronchons.
Les voisins restèrent complètement éberlués. Qu’est-ce qui lui prend à la vieille du troisième ? Elle décrochait à peine des bonjours quand elle les croisait dans l’ascenseur ou devant les boîtes aux lettres. Le seul son qui sortait de sa bouche était un grognement presqu’animal. Et là, en plus de leur faire à manger – bon d’accord ce n’étaient que des carottes râpées mais tout de même – donc, en plus de ça, elle avait aligné plus de deux mots. Bon là aussi, c’était pas forcément super sympa pour ceux qui étaient concernés ou qui se sentaient visés mais au moins elle l’avait dit avec entrain, de bonne humeur et avec un sourire qui révélait toutes ses dents.
A 12h05 pile, la queue commençait à se former devant elle, les assiettes se tendaient pour recevoir quelques cuillerées de carottes râpées. Elle restait concentrée pour bien viser au centre. Dès qu’ils étaient servis, ils dérivaient, glissaient, trouvaient un muret ou un tabouret pour faire croquer leur entrée sous leurs dents.
Le silence s’était installé lentement. Les yeux volaient de droite à gauche en une analyse fine du teint de chacun et de leur degré d’amabilité. Les conclusions se faisaient par un hochement de tête approbatif sur la quantité de carottes râpées servie.
Les comparaisons torturaient leurs esprits. Pourquoi le voisin d’en face en a eu moins que moi ? Je suis quand même vachement plus sympa !
Tout le monde était servi, tout le monde était repu. Et on n’en était qu’à l’entrée ! Un téléphone retentit et brisa le silence. La vieille du troisième apostropha : « Hey, on n’avait pas dit qu’on éteignait les portables pour faire comme au théâtre ? Y a toujours un con qui désobéit et plante la pièce ! ». Le téléphone arrêta de sonner sans se démasquer, honteux et bien au fond d’un sac ou d’une poche. Il ne devra plus sonner sinon, sinon, sinon. Ben sinon qu’est-ce qu’il risque vraiment le téléphone ?
Les regards s’étaient tout de même tous tournés vers la source de dérangement. Mais l’écho trompait les sens. Ou alors, il n’y avait pas qu’un seul téléphone qui sonnait à cette heure-ci. Ce qui en soi est fort possible. Les télémarketeurs appellent toujours à la même heure, il est donc fort possible que ça sonne en même temps dans la cour de l’immeuble.
La vieille du troisième clama : « c’était qui la personne en charge du barbecue ? » Les bras tombèrent, les épaules s’affaissèrent. Quel barbecue ? Il n’y avait pas de grille, pas de charbon, encore moins de viande ou de steaks aux légumes pour les végétariens. Du feu, on en aurait peut-être trouvé si les fumeurs se dénonçaient. Rien. Rien n’était prêt. Rien n’était sorti dans la cour parce que personne ne savait qu’il y avait barbecue dans la cour ! La vieille du troisième mit les poings sur ses hanches et dit : « Alors ? C’était qui ? »
La gardienne tenta :
– Personne Madame Benetti, personne n’était prévenu.
– Ben ça alors, c’est bien con, s’étonna la vieille du troisième. J’aurais oublié de vous le dire ? Ah oui, peut-être, c’est possible. Je voulais vous faire une surprise. Bon, on va pas se laisser aller. Allez, allez, chop, chop, on s’active !
D’un coup, les choses s’accélérèrent. Chacun disparut de la cour quelques minutes et revint avec ce qu’il avait trouvé dans le frigo ou dans les placards. La vieille du troisième sourit.
– Vous voyez quand vous vous y mettez, ça marche tout seul. Alors, voyons voir ce qu’on a pour la suite. On va faire deux colonnes, les viandards et les végétariens ? Ah mince, c’est pas très équilibré dans les groupes. Et si on faisait un groupe sucré, un groupe salé ? Non plus ! Quelqu’un a une idée pour que tout le monde y trouve son compte ?
Madame Benetti prit les choses en mains. « Quelle bande d’empotés vous êtes, accusa-t-elle. Bon, je vois que vous êtes tous venus avec quelque chose, c’est déjà pas si mal mais y a des abrutis qui croient qu’on va faire cuire leur bouffe à l’ombre des marronniers. Vous croyez quoi les gars ? Que la bouffe se cuit au soleil ? Levez la tête, vous avez vu le gris du ciel ? C’est pas pour aujourd’hui. Et en toute franchise, c’est pas à mon âge que j’ai envie de revenir à l’état sauvage ! Bon, on garde seulement la nourriture qui ne se cuit pas. »
Une partie des voisins s’éclipsa pour replacer leurs contributions dans le frigo. Il n’y aura donc pas d’escalopes à jeter dans la poêle, ni de tarte aux pommes fumante. Une nouvelle queue se forma devant Mme Benetti. Elle lança : « Allez, ça démarre en improvisation ! Le salé à ma droite, le sucré à ma gauche. Ça a intérêt à être équilibré pour qu’on ait tous du dessert ! »
L’opération dura un bon quart d’heure. Les voisins étaient curieusement tous disciplinés et à l’écoute attentive de la doyenne de l’immeuble. La suite du repas était plus fluide, les gens allaient d’un endroit à l’autre. Les langues se déliaient, les lèvres souriaient. Mme Benetti était fière, c’était sûr c’était grâce à ses carottes râpées en entrée !
La gardienne avait mis de l’eau à bouillir. On entendit le clic de l’interrupteur de la bouilloire dans sa loge. Elle s’approcha avec du café lyophilisé, du thé et du sucre pour ceux qui en voulaient. Les gobelets étaient miraculeusement apparus et chacun faisait la queue devant la gardienne pour sa boisson chaude. Mme Benetti avait pris du thé. Son médecin lui avait dit d’arrêter le café. Ça la rendait trop nerveuse et elle, elle avait décidé de n’avoir que de la joie et de la bonne humeur dans sa vie. A contrecœur mais à raison, elle avait donc suivi le conseil de son médecin.
Le thé lui réchauffait les mains. Elles étaient sèches et ridées. Elle avait oublié de mettre de la crème après être allée à la piscine. Le chlore lui attaquait l’épiderme mais elle aimait l’eau, la sensation de flotter et même de flottement quand elle allait nager.
Sonia interrompit ses rêveries :
– Excusez-moi Madame Benetti. Je suis désolée de vous déranger…Je voulais vous dire, c’est gentil ce que vous avez fait aujourd’hui, c’est même super sympa…
– Merci, mon petit, merci, coupa Mme Benetti.
– Mais en fait…
– Ah, je me disais bien qu’il y avait un mais !
– Euh oui, enfin non, je ne sais pas, je voulais juste vous demander quelque chose.
– Allez-y mon petit, si je peux vous éclairer, ça serait avec plaisir mais en toute honnêteté, je n’ai pas la science infuse. Ne me demandez pas où se couche le soleil parce qu’avec ce temps de merde, pardonnez-moi l’expression, on ne sait même pas où il est ce putain de soleil ! Ouh là là, je devrais avoir honte, ajouta Mme Benetti en se mettant une main devant la bouche. Autant de gros mots dans ma bouche, ce n’est pas très joli pour une vieille dame comme moi.
– Madame Benetti ?
– Oui, oui, mon petit, je m’égare, je parle, je parle, mal parfois je sais mais ça fait un bien fou. Vraiment, ne plus penser aux conventions, au qu’en dira-t-on. Putain de putain de merde. C’est limite jouissif, vous ne trouvez pas ?
– Euh oui, sûrement, en fait je…
– Ah oui c’est vrai vous vouliez me demander quelque chose. Je ne sais pas pourquoi la licorne baisse la tête en signe de respect. Pour tout vous dire, je ne suis pas sûre que les licornes existent, mais qu’est-ce qu’on s’en fout. Ça serait vraiment cool si elles existaient, non ?
– Ben, je sais pas Mme Benetti. Quand j’étais petite, j’y croyais je pense.
– Oui, oui, c’est vrai, je m’en souviens. Vous étiez toujours habillée en petite princesse. Vous aviez même une attitude de princesse. Parfois dédaigneuse même.
– Ah bon ?
– Ben oui, toujours à péter plus haut que votre cul alors que vous étiez haute comme trois pommes.
– C’est pour ça que j’ai eu plus de carottes que mon voisin d’en face ?
– Ma petite Sonia, va falloir penser à vous ouvrir au monde et arrêter de penser que tout tourne autour de vous. Oui, je vous en ai plus mis que votre voisin d’en face, je l’avoue. Il y a une raison bien précise à cela.
– Justement c’est ce que je voulais savoir, interrompit Sonia.
– Voilà, voilà, vous vouliez savoir pourquoi vous Sonia, la belle princesse de l’immeuble, vous avez eu plus de carottes que votre voisin d’en face qui, selon vous, vaut moins que vous.
– Oui c’est ça enfin je veux dire que…
– Stop, je ne veux rien entendre de votre fausse modestie. Vous-même vous vous rendez compte que vous avez besoin de plus de carottes que lui, non ?
– Mais non ! Ce n’est pas vrai, s’insurgea Sonia.
– Et pourquoi donc ?
– Mais, mais, parce que…
– Parce que quoi ma petite ?
– Parce qu’il n’est pas respectueux. Il fait du bruit à n’importe quelle heure.
– S’il ne fait pas de bruit à son âge, ce n’est pas au mien qu’il le fera ! Il vit votre voisin, c’est tout. IL VIT !
– Et on ne peut pas vivre en silence et dans le respect de ses voisins ?
– Vous êtes vraiment conne ou vous le faites exprès ?
– Mme Benetti, je ne vous permets pas.
– Et bien moi, je me permets, c’est ma nouvelle résolution ! Vous vouliez savoir alors je vous dis.
– Vous pourriez tout de même choisir vos mots.
– Choisir mes mots ? Ben non, ça vient comme ça me vient même si ça vous offense.
Sonia se renfrogna, Mme Benetti continua un peu plus calmement.
– Vous voyez les marguerites jaunes là-bas ? Elles se baladent dans le vent, c’est beau, c’est doux, vous ne trouvez pas ?
– Je ne sais pas, je m’en fous en fait.
– Sonia, Sonia, des gros mots dans la bouche d’une princesse, la taquina Mme Benetti.
– Oui, pardon, je vous prie de m’excuser.
– C’est pas la peine d’en faire des caisses non plus pour vous excuser. Moi, ça m’est égal, vous devriez pouvoir vous exprimer comme vous le souhaitez.
– Merci, Mme Benetti.
– J’ai toujours trouvé, mon petit, que vous n’osiez pas, vous n’osez jamais. C’est bien dommage Sonia, c’est bien dommage. Vous ne le voyez pas votre voisin. Il est mignon tout plein. Il cherche votre attention et vous, vous ne le voyez pas. Vous ne vous voyez pas vous-même.
– Je ne comprends pas.
– Si, si, vous comprenez parfaitement. Vous êtes loin d’être une idiote écervelée. Je vous ai observée, je vous observe encore. D’ailleurs, je vous observe tous ici. C’est pour ça que j’ai décidé qu’il était grand temps pour les carottes râpées. Avant que tout ne parte à la dérive. Vous savez, il y a quelques temps, j’avais glissé de vieux papiers dans chacune des boîtes aux lettres avec des messages pour chacun. Je n’aurais pas dû prendre de vieux papiers parce que personne n’a vu mes messages, personne ne les a lus. Pourtant, ils étaient plein de bon sens et imprégnés de mon sens de l’observation.
Mme Benetti reprit son souffle.
– Bon, ma petite Sonia. Vous êtes une grande fille maintenant. Ça serait bien que vous vous en rendiez compte. Je vous laisse mon petit, j’ai un million de choses à faire en peu de temps. Prenez soin de vous et retirez-vous les doigts du cul !
Mme Benetti lui fit un clin d’œil rieur.
Sonia avait fini son café depuis longtemps, noir sans sucre. Elle croisa le regard de Marc, son voisin. Elle esquissa un sourire. Il prit cela pour une invitation et s’approcha.
– Vous avez aimé la boîte de chocolats ?
– Quelle boîte de chocolats ?
– Je vous avais laissé une boîte de chocolats sur le palier.
– Ça ne me dit rien. C’est dommage, j’adore le chocolat. Surtout avec mon café.
– Moi aussi j’aime bien et j’avais pensé que vous aussi, c’était pour ça que je vous les avais offerts…Je m’appelle Marc, on ne s’est jamais présentés.
– Sonia, enchantée.
Au loin, Mme Benetti levait ses deux pouces en l’air. Cela fit sourire Sonia. Marc prit cela pour une autorisation à faire un pas de plus.
– Ça vous dirait d’aller prendre un verre ?
– Pourquoi pas. J’ai entendu parler d’un nouveau bar qui avait ouvert ses portes sur les quais.
– C’est une merveilleuse idée. On se dit mardi soir 20h ?
Mardi soir 20h, c’est dans quatre jours, pensa Sonia. Voyant son air interrogateur, Marc tenta de la rassurer :
– Je vais voir mes parents ce week-end et je ne reviendrai que mardi dans la journée, j’ai vraiment hâte de passer du temps avec vous.
Un téléphone bipa. Un message avait été reçu. Marc dégaina le premier. Le message affiché le fit rougir : « Tu me manques. Viens me voir vite. Je t’aime plus que tout au monde ». « C’est ma mère », tenta-t-il.
Mais bien sûr, il me prend pour une quiche le Marco ! A tous les coups, c’est lui qui a bouffé la boîte de chocolats devant ma porte, pensa Sofia.
Marc lança un appel à l’aide à Mme Benetti.
– Alors Marco, fit elle, pris en flag de tromperie ?
– Madame Benetti, ce n’est pas…
– Mais oui, mais oui c’est ça. Tu sais mon petit, si la p’tite Sonia elle te plaît, va falloir te ranger des bagnoles parce qu’elle, de son côté, elle ne te trompe qu’avec sa solitude !
– Mais Mme Benetti, je ne la trompe pas puisqu’on n’est pas ensemble. Enfin pas encore. Je vais pas me faire moine pour lui laisser le temps de me voir enfin.
– Euh, excusez-moi, je suis là…osa Sonia.
Mme Benetti lui tapa sur l’épaule.
– Allez princesse, va falloir un peu y croire là et tenter. Les hommes ne sont pas tous des salauds qui bouffent la boîte de chocolats prévue pour la belle-mère. Ils ne trompent pas tous leur copine, il faut leur laisser aussi du crédit. Et puis, au pire ou même au mieux, t’auras qu’à faire pareil. On n’a qu’une seule vie, il faut prendre le plaisir tant qu’y en a. Allez, fais lui trois, quatre bisous pour la route.
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PUBLICATIONS DES PARTICIPANTS
J’ai fréquenté durant plusieurs années les ateliers d’écriture Sous les Toits de Cécile et Philippe, que je viens de retrouver en novembre avec Les Petits Papiers. Depuis la pandémie, je me suis lancée un peu plus « sérieusement » dans l’écriture et mené certains projets à bien. Après « le Fils de l’autre », que j’ai déjà présenté sur ce blog, « Avenue du Père-Lachaise » est mon deuxième roman. Il est né de ce qui devait, au départ, être un recueil de nouvelles. Celles-ci étaient souvent liées les unes aux autres en une sorte de « suite », je les ai remaniées pour en faire cet OLNI (objet littéraire non identifié), qui a trouvé son éditrice, les Editions Marie Romaine, https://www.editionsmarieromaine.fr/. Ce roman choral est sorti en janvier 2024. En voici le pitchDeux femmes, trois hommes, un lieu : le cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Au fil de ce roman, des vies se télescopent, des destins se lient, des êtres se trouvent ou se séparent. Les personnages rebondissent d’un chapitre à l’autre, tous réunis dans cette mystérieuse nécropole par l’absence, le manque, le deuil, l’espoir d’une renaissance. Si la mort a un jour croisé leur chemin et redessiné leur parcours, sa présence n’arrive jamais à obscurcir cette valse mi-joyeuse, mi-tragique, au terme de laquelle l’un d’eux va disparaître.Et le lien pour découvrir le livre : https://www.editionsmarieromaine.fr/product-page/avenue-du-p%C3%A8re-lachaise-monique-blond Merci pour votre lecture !
La danse du papillon provient d’un texte court produit pendant un atelier d’écriture que j’avais suivi il y a une trentaine d’années. Par la suite, j’ai repris cet écrit à plusieurs reprises, tout en rédigeant d’autres textes sans rapport avec cette ébauche. C’est plus tard que, disposant de temps et de disponibilité d’esprit, j’ai ressorti de mon ordinateur les brouillons successifs du petit texte initial pour travailler encore et encore une histoire dont je ne savais pas très bien où elle allait. Et petit à petit, quelque chose a commencé à prendre forme, qui s’était éloigné du tout premier texte d’atelier, qui puisait aussi dans d’autres textes moins anciens et se nourrissait de fragments nouveaux, parmi lesquels des ébauches écrites pendant des séances de l’Atelier sous les toits. Le soir, des personnages s’invitaient dans mes rêveries, rechignant parfois contre ce que je venais de leur faire faire ou contre le prénom que je leur avais donné, formant petit à petit l’histoire à ma place. Je griffonnais quelques notes et le lendemain, j’essayais de traduire ces notes en écriture… essais parfois fructueux, pas toujours ! Parvenir à la forme aboutie de La danse du papillon m’a pris plus de six ans. Si je reviens sur ce travail d’écriture, je peux distinguer plusieurs aspects. D’abord, le travail de la phrase : portée à écrire de longues phrases pleines de digressions et d’incises dans tous les sens, j’ai dû énormément les retravailler. Pendant plusieurs années, j’écrivais chaque jour un ou deux paragraphes, ou seulement deux ou trois lignes, et je les raturais et les réécrivais indéfiniment les jours suivants en me disant que c’était nul, et moi avec. L’écriture de La danse du papillon m’a servi d’exercice d’écriture mais aussi, en étant aussi quotidiennement présente, m’a coupée d’autres formes, comme par exemple la forme poétique dont je me suis éloignée à regret. Ensuite le travail de la structure : comment organiser l’histoire, présenter les évènements, ménager un certain suspens. Longtemps, le récit n’avait aucune structure, probablement aussi parce que les grandes lignes de l’histoire n’étaient pas encore clairement définies. Puis, quelque chose a « pris » et la structure est apparue. Evidemment, je n’avais pas fait de frise chronologique et mes personnages apparaissaient n’importe quand, à rebrousse-temps : pourquoi pas, en théorie, un récit temporellement déstructuré, mais cela ne se prêtait pas à l’histoire que je voulais raconter. Je me suis donc emmêlé les pinceaux jusqu’à ce que ça tienne à peu près et que je déclare la structure achevée. Désireuse d’en finir, je n’ai pas écouté la petite voix intérieure qui tentait de me dire qu’en fait la structure était bancale. Cécile, à qui j’ai confié la relecture de la première version de ce récit dans le cadre de l’Atelier Face à Face, m’en a aussitôt fait la remarque. Il a fallu me remettre à la tâche, couper, tailler et retailler et m’apercevoir qu’avec la nouvelle combinaison, ça ne collait plus, des évènements se produisent dans le mauvais sens, des gens mouraient avant d’être nés etc…. Finalement, ça c’est fait, en quelques mois. La manuscrit terminé, j’en ai éprouvé à la fois de la joie et de la légèreté. Je n’avais pas l’idée que cet écrit puisse être publié. Je l’ai offert à mes proches en format A4 et c’est de mon entourage qu’est venu l’encouragement à chercher un éditeur… J’ai mis du temps à faire la démarche, je ne me sentais pas légitime et je me demandais ce qu’un bouquin de plus viendrait ajouter à des masses et des masses de livres publiés chaque semaine…. Nombreux ont été les refus implicites (pas de réponse sous 4 mois signifie un refus) et les refus par courrier, certains assortis de commentaires encourageants, jusqu’à ce que les éditions de l’Harmattan acceptent de le publier. Je continue à me demander si publier est une fin en soi : ce qui a compté le plus, c’est d’avoir écrit. Mais maintenant, je ne peux plus faire abstraction du fait que ce livre est publié et c’est vrai que savoir son texte lu par d’autres yeux, d’autres oreilles, par des âmes éloignées que l’on ne connaît pas, et parfois en recevoir un témoignage, c’est tellement fort ! D’une certaine façon, on en fait l’expérience à une autre échelle en atelier d’écriture ou dans le blog de l’Atelier : le partage de ce que l’on a écrit, le retour des lecteurs ou des auditeurs (selon la forme de l’atelier) est une expérience du risque, de la remise en question mais aussi du partage et de la joie. La danse du papillon se commande dans toutes les librairies, sur les sites de vente en ligne et sur le site des éditions de l’Harmattan : https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_danse_du_papillon_aliette_zumthor_sallee-9782140294846-74491.html
Tout est parti d’un courrier de lecteur, découvert en septembre 2019 : un professeur de physique-chimie reconnaît, dans sa classe, le fils de son ancien harceleur, qui ressemble trait pour trait à son père. Il s’inquiète auprès de la psychologue de sa réaction possible envers cet élève : ne sera-t-il pas tenté de lui faire payer les persécutions du père, même inconsciemment ? La thérapeute lui répond, entre autres choses, qu’il y a là matière à écrire un roman ! Le samedi, à l’atelier Petits Papiers, chez Cécile et Philippe, je choisis d’écrire un texte inspiré de cette histoire, au gré des fameux « petits papiers ». Les retours plutôt positifs m’encouragent à peaufiner à la maison ma nouvelle Le Portrait de son père, que j’envoie à trois ou quatre revues. L’envie d’aller plus loin ne me quitte pas et je m’inscris à un atelier Premier Roman (en formation pro), pour transformer la nouvelle en roman. En avril 2020, la revue Brèves m’appelle pour m’informer qu’elle souhaite publier Le Portrait de son père dans son numéro 116 (collectif « Jeunesse »). Cela renforce encore ma motivation pour le roman, dont j’achève le premier jet en juin. Je poursuis la réécriture les mois suivants. En plus des retours obtenus en atelier, je fais « diagnostiquer » mon texte en janvier 2021 par un site professionnel, puis, après l’avoir remanié, je commence à envoyer mon manuscrit à des éditeurs en septembre 2021, assorti d’une lettre de présentation longuement travaillée, d’un synopsis, etc. Je continue mes envois jusqu’en mars 2022. Sur la quarantaine d’éditeurs contactés, j’obtiendrai six réponses, toutes négatives, mais parfois encourageantes (quand même !). Enfin, en avril 2022, un éditeur (IGB) me téléphone : il a aimé mon roman, mais attend d’avoir l’avis de son comité de lecture et de son associée pour me donner un accord définitif. La même semaine (!), les Editions Il est Midi me contactent à leur tour pour me proposer directement un contrat. C’est avec eux que je signe, en juin 2022. Mon roman, le Fils de l’autre, sort le 10 octobre. L’expérience a été intéressante, même si le livre n’est vendu que sur commande (en librairie, à la Fnac, chez Amazon et sur tous les sites marchands), donc peu visible. Par ailleurs, Il est Midi n’organise pas de dédicaces et ne participe pas à des salons. Enfin, je n’ai jamais rencontré mes éditeurs, nous n’avons échangé que par mail et au téléphone. J’ai donc réalisé moi-même mon dossier de presse et obtenu deux chroniques (sur Femina.fr et Télé-7-Jours) et deux interviews. Un club de lecture, à Pierrefonds, m’a également invitée à une journée de présentation, et je me suis inscrite à deux salons en 2023 (réponse en attente). L’aventure continue, sans bruit, mais c’est formateur… Encore merci à Cécile et Philippe, dont l’atelier Petits Papiers m’a permis de poser les jalons de mon projet. Je leur ai même volé une très jolie phrase, tirée au hasard des « petits papiers » et que j’ai gardée dans le roman, bien évidemment ! Monique Coant-Blond Pour en savoir plus sur le livre, n’hésitez pas à aller sur mes pages Facebook https://www.facebook.com/profile.php?id=100082078084319 et Instagram https://www.instagram.com/emsie_blond/?hl=fr ou, pourquoi pas, sur le site de l’éditeur https://editions-il-est-midi.eproshopping.fr/1740324-LE-FILS-DE-L-AUTRE-Monique-Coant-Blond
LIVRES AIMÉS
J’ai aimé l’atmosphère; j’ai souri ; j’ai admiré le style; j’ai râlé de frustration lorsque je découvrais les personnages petit à petit et non bien campés en début de livre ; j’ai frémi devant le suspens de l’histoire et des personnages; je me suis laissée bercer par l’ambivalence constante entre rêve et réalité; j’ai été touchée quand j’ai enfin compris les visites d’amitié et de souvenirs de ce groupe hétéroclite et j’ai même versé une larme en refermant le livre.
En passant dans le rayons BD (au RDC, pour les grands, pas au 3e chez les enfants) d’une médiathèque, je me suis arrêtée sur Profession du père, de Sébastien Gnaedig. C’est une adaptation du roman de Sorj Chalandon. Je vous le dis tout de suite : je n’ai pas lu la version sans images. Mais la version adaptée a renforcé l’envie de la découvrir, même si je peux m’attendre à une violence accrue. En noir et blanc, en quelques dessins, l’intensité est présente. La dérive d’une homme dans une période sombre de l’histoire de France. « Les événements » dans nos livres d’histoire, pour ne pas dire « la guerre » d’Algérie. Je ne sais pas ce qu’en pensent celles et ceux qui ont lu S. Chalandon. Cette adaptation est une introduction, une ouverture. Profession du père est publié aux éditions Futuropolis en 2018.
Le point de départ de l’auteure est que nous avons été, ou serons, toutes et tous un jour confrontés à la mort de notre mère. La narratrice, journaliste célibataire de 31 ans, décrit ce qui l’oppose à sa sœur, mariée, 2 enfants. Leur mère meurt brutalement. Assassinée. Le lecteur suit avec la narratrice l’enquête, les arrangements pour vider la maison, ce que deviennent les relations familiales et sociales lorsque l’on perd sa mère aussi dramatiquement. Des secrets vont au fil des pages transformer des vérités jusqu’ici bien établies. Il y a beaucoup d’humour dans ces pages. Et des rebondissements. Le récit m’a parlé, souvent. Mère disparue est paru en 2007, édité par les éditions Philippe Rey.
Trois livres en forme de trilogie de Deborah Levy, auteure sud-africaine vivant en Grande-Bretagne : Le goût de la vie, Ce que je ne veux pas savoir et Etat des lieux. Les ouvrages sont traduits par Céline Leroy. Une écriture très ancrée dans la vie, mais en même temps très subtile, où l’auteure à la fois s’interroge sur la présence du passé dans le présent, et très souvent décale notre regard sur des évènements très simples et quotidiens pour en dégager un aspect neuf. Elle y excelle lorsqu’elle questionne, sans verser dans la démonstration, les rapports de genre, son travail d’écrivaine, ses rêves non réalisés. Elle est souvent drôle, légère et toujours intéressante. Merci à la traduction excellente.
Le cercle des menteurs ou Contes Philosophiques du monde entier rapportés par Jean-Claude Carrière. Habituellement, le terme de « contes philosophiques » me donne envie de rebrousser chemin car c’est un genre dont le ton appuyé, l’intention de donner des leçons produit souvent des textes ennuyeux et « voulus » (ce n’est que mon avis !). Ici, c’est tout le contraire : histoires courtes, du conte à la blague, racontées avec le brio qu’a Jean-Claude Carrière pour s’exprimer. Si l’on connait sa voix, on a l’impression en lisant qu’il est présent et qu’il conte à haute voix. Le premier comme le deuxième tome sont des régals. (en photo le deuxième tome)
Un texte très court (78 pages) sur la maladie contractée à son travail par le père du narrateur. Ce que j’ai aimé dans cette écriture, c’est que sous l’apparente pauvreté émotionnelle du texte, l’auteur, en nous livrant la stricte description des faits et gestes des protagonistes, sans à aucun moment ne juger quiconque, nous laisse toute la place pour mobiliser notre propre émotion et penser par nous-mêmes.
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