Si on se donnait RDV dans 10 ans

Elles se sont données RDV au 17 rue de la mer. La mer de la Manche, cette eau froide aux mille couleurs, dans laquelle elles ont passé quasiment toute leur enfance. Des années qu’elles ne se sont pas vues, il faut qu’elle se lève, elle va finir pas être en retard pour ce RDV qu’elles se sont données il y a 10 ans. Une fois debout, elle prend un café, elle ne peut rien avaler de plus, elle qui ne saute jamais un petit déjeuner, elle a l’estomac complètement noué. C’est étrange, ce malaise qui s’empare d’elle. Elle a très envie de revoir Sophie, son amie d’enfance, mais en même temps elle a très peur. Peur qu’elle ne soit pas là, peut qu’elle ait oublié cette vieille promesse, peur de ne pas se reconnaître, peur de ne plus se plaire. Elle descend les quelques marches du perron, traverse le jardin, encore parsemé de lucioles hier soir, et se retrouve dans la rue. Le 17 rue de la mer est à quelques centaines de mètre. Il fait beau et froid, il n’y a pas de vent, la mer est loin, on la croirait immobile. Il n’y a presque personne sur la plage à cette heure matinale, elle se sent seule au monde, elle se sent abandonnée, elle a un léger vertige, elle a le pressentiment que Sophie ne sera pas là. Elle ressert les pans de son long manteau contre elle et elle reprend sa marche, plus rapidement. Son malaise est passé, elle essaie de se convaincre que ça n’est pas si important s’il n’y a personne. Qui se souvient de ce genre de RDV ridicule qu’on se donne à la fin de l’adolescence ? La joie, la terreur et l’appréhension se disputent son humeur. Elle pense un instant qu’elle pourrait tout simplement rebrousser chemin pour passer son dimanche en famille et se blottir devant la cheminée avec une tasse de thé. Ça serait plus facile que de vouloir renouer avec son passé. Mais elle y est presque, elle n’est plus qu’à quelques mètres du 17 rue de la mer, le bar où elles avaient leurs habitudes le samedi soir. Elle gagne la terrasse, il y a déjà du monde pour profiter de ce soleil froid d’hiver. Elle n’ose pas dévisager les clients, elle ne sait pas où poser son regard, son cœur bat à tout rompre quand elle entend quelqu’un l’appeler sur sa gauche. C’est Sophie, elle est venue, elle n’a pas oublié.

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