Rendez-vous d’été

Au dessus de la mare, les libellules passaient en vrombissant, leurs ailes rendues invisibles par le vol. Elles allaient parfois se percher sur les roseaux près de la berge, qui commençaient à floconner à leur sommet. Des graines en étoiles flottaient dans l’atmosphère d’été, dans la lumière de cette fin d’après-midi. Les rayons du soleil étaient filtrés par les branches des arbres et créaient une luminosité jaune et verte.

Allongé sur le dos dans l’eau tiède, il était immobile. La mare était moins profonde que d’habitude, le ruisseau s’y versant avait été asséché par la saison. Il ne baignait dans l’eau que de quelques centimètres, et son dos s’enfonçait dans la vase odorante du fond. Il sentait sous ses doigts les graviers, les brindilles, les feuilles mortes, toute cette décomposition fertile de la boue. Plus tôt dans l’année, il y aurait eu des têtards, maintenant ils avaient tous quitté l’eau pour les fossés humides, il n’avait pas aperçu de grenouilles. Quelques araignées d’eau glissaient à la surface, créant de minuscules rides du bout de leurs pattes. Ses vêtements étaient peu à peu gagnés par l’humidité qui se répandait en suivant la trame du tissu. Il aurait pu choisir un endroit plus profond, mais c’était ici qu’il avait pris l’habitude de venir. Il avait déposé ses chaussures sur un tapis de feuilles, à côté de ses lunettes et de son sac.

Il cligna des yeux. Un rai de lumière tombait juste sur son visage. Il passa ses mains boueuses sur sa tête, se couvrant d’une sorte de peinture de guerre. La terre humide lui faisait du bien, elle apaisait sa peau desséchée. Il était bientôt l’heure.

Il se redressa, ôta sa chemise et la lança vers le bord. Son pantalon et ses sous-vêtements suivirent. Il se rassit, et débuta son rituel. Il commença par les doigts, qu’il dépiauta jusqu’à ce que la couche de peau parte comme un gant. Il remonta le long des bras, ôtant de longues bandes écailleuses de mue, qui partaient dans l’eau troublée. Les épaules, le cou, le torse. Le ventre était toujours le plus douloureux, les grandes écailles lisses y étaient les plus souples et délicates. Les pieds, avec la palmure entre les orteils. Puis il remonta tout son corps. Il lui faudrait trouver un arbre suffisamment rugueux pour le dos. Il finit par le visage, petit bout par petit bout, puis le crâne, ses rares cheveux tombant avec la peau.

Un fois terminé, il sortit un sac plastique et entrepris de ramasser toutes les mues flottant dans la mare ou envolées sur les feuilles. Il se sentait rajeuni, rasséréné. Avec de la chance, il n’aurait besoin de revenir que l’année prochaine.

 

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