Elle s’appelle Camille. Ce soir devant la glace de sa salle de bain, elle se regarde comme une étrangère. Qui est-elle ? Qu’est-elle devenue ?
Alors pour répondre à cette question qui la hante depuis plusieurs mois, elle s’adresse à son image : Bonjour, je m’appelle Camille et je fais du violon depuis toujours.
Bon, là elle exagère un peu, mais elle ne ment pas. A l’âge de cinq ans ses parents lui ont mis un violon entre les mains. Elle peut dire que le violon a quasiment toujours fait partie de sa vie. Elle n’a pas fait partie des petits prodiges. Non, elle a étudié assidument et les années ont passé sans bruit. Avec son violon la relation n’était pas passionnée. Ce fut une dépendance parfois fluide, parfois moins évidente mais elle fut durable. Aujourd’hui elle en a fait son métier et elle est très appréciée dans l’orchestre.
De son violon elle aimait l’élégance de ses courbes, la sensibilité de sa voix. Seule dans sa chambre elle adorait jouer les symphonies de l’orchestre, des sonates, des musiques de films, des musiques de variété. Elle animait des soirées musicales pour le plus grand bonheur de ses amis.
Puis elle a enseigné, son désir de transmettre était fort. Elle a pensé que ce serait facile, mais au conservatoire elle a dû se rendre très vite à l’évidence qu’en grande partie, ses élèves étaient peu motivés, voire détestaient le violon.
Devant sa glace, elle observe son visage chiffonné. Elle y décèle un peu d’amertume dans son sourire, des rides aux coins de ses yeux. Le miroir de la salle de bain est sans pitié. Il faut bouger pour éviter que le découragement ne s’abatte sur ses épaules, pour éviter que sa vie ne devienne un grand mouroir où l’amour de la musique n’apporte que de la peine. Elle ne pleure pas, très vite elle jette quelques vêtements dans un sac et part. Direction le Lac des Settons et sa jolie petite auberge en bordure. Joli endroit où elle allait en vacances avec ses parents.
Arrivée de nuit, elle joue au bord de l’eau où meurent ses espoirs. Elle voudrait que tout le monde entende son concerto. Elle est là, seule dans la nuit faiblement éclairée et comme le loup, son violon hurle à la lune… Petit à petit, elle s’apaise. Elle sait qu’elle va reprendre le train de la vie et de nouveau croire en elle.
Un petit encart dans l’Est Républicain sous la rubrique reconversion professionnelle : de la musique à la pâtisserie. Le journaliste critique gastronomique nous parle de « La Clef de Sol » qui vient d’ouvrir ses portes dans le vieux Nancy. Il nous parle de ce lieu de débauche gustative joliment agencé, que Camille la jeune pâtissière souhaite partager avec ses clients. Camille, diplômée du conservatoire régional du grand Nancy, concertiste dont l’instrument est le violon s’est reconvertie et a passé son CAP de pâtisserie. Elle est repartie dans la vie un pas après l’autre. Sur la porte de la pâtisserie, la clef de sol qui sert de poignée peut faire douter de la destination de ce lieu. Passé la porte, l’accueil est chaleureux et les gâteaux soigneusement alignés invitent à la dégustation. Les spécialités de Camille : les gâteaux de mariage – pièce montée vertigineuse couvertes de notes de musique – mais également des petites pâtisseries en forme de violon fourrées de crème légère.
Pour oublier un ciel morose où canicule et bombes se succèdent, il faut manger les gâteaux de Camille en écoutant de la musique. Les gâteaux de Camille sont des médicaments contre le mal de vivre et la guérison est rapide.
Comme d’habitude c’est agréable à lire à la suite après coup. La fin est vraiment sautillante, allègrement sautillante. Agréable effet de contraste après les formules heureuses mais noires « un grand mouroir où l’amour de la musique n’apporte que de la peine » et le « bord de l’eau où meurent ses espoirs ». A une autre fois!