Cher journal et cher « vous » si vous avez trouvé ce cahier,
Je ne sais si quelqu’un lira ceci un jour. Je ne sais pas si je le souhaite.
Je suis cachée sous les racines de l’arbre creux. J’ai trouvé cet endroit par hasard, en cherchant à manger. J’ai couru après un lapin et je l’ai vu se glisser sous l’amas de mousse et de racines. Le passage était étroit mais la petite grotte naturelle en-dessous n’est pas si mal. Ici je suis à l’abri des autres, peut-être me cherchent-elles déjà ?
La nuit est tombée, noire et silencieuse. J’aperçois le ciel illuminé d’étoiles très brillantes. Je n’avais jamais vu ce ciel avant. Trop de lumières dans les villes. Depuis le crash, j’ai l’impression que mes pupilles ont doublé de volume. Je suis comme un animal, à l’affut, prête à prendre la fuite.
On se croyait en sécurité dans les débris de la carlingue et puis la nuit est devenue dangereuse, le feu ne suffisait plus à nous réchauffer. Deux filles sont parties explorer, elles ont trouvé une vieille cabane. Le cadavre au grenier entouré de vieilles bougies nous a d’abord effrayé mais le froid et la fatigue ont eu le dessus et nous sommes restées.
Mais maintenant il y a la faim et les premiers flocons. Personne ne vient nous secourir. La forêt nous engloutit doucement, les regards changent d’éclat, la lueur est inquiétante au fond des orbites creusées. La faim fait penser à des choses terribles.
Je me suis blessée hier en coupant du bois et du sang est tombé dans le feu. L’odeur rappelait la viande. Elles humaient l’air telles des bêtes affamées, j’ai eu peur. Elles regardaient ma blessure avec envie. Je ne reconnaissais plus mes amies. Babines retroussées, elles étaient prêtes à commettre la faute ultime, dépasser l’interdit de l’humanité. J’ai vite caché mon bras et elles ont baissé les yeux, honteuses. Mais je sais que la faim sera bientôt plus puissante, je le sens dans mes os. Qui me trouvera en premier ? Elles ? Le froid ? Le désespoir ?
Tant que j’écris, je suis humaine et vivante et si vous me lisez, j’existe encore un peu.
