Délicatement, elle dépose le dé dans sa main.
Détends-toi, c’est le secret d’un bon lancer. Pas besoin de calculer au double-décimètre, tout se joue là, dit-elle en dardant ses doigts sur son front.
Déconcerté, fébrile et un peu défait, il saisit le dé à contrecœur. Il le fait danser dans sa paume, délaye le moment, décale l’instant du lancer.
Dans le fond de la pièce, un vieux débris l’observe d’un œil torve. Décati mais attentif, il décortique tout et n’en rate pas une miette.
Si tu fais un six, le job est pour toi. Démerde-toi pour y arriver, c’est aussi simple que ça.
Il pensait que les démons qui susurrent au coin de l’oreille, c’était dans les films. Mais il ne débloque pas, il l’entend là, lui dire de dégager avant que ça dérape. Des sons étouffés lui parviennent de la grande salle, au-dessus. Des cris décérébrés qui sentent la fin de soirée avinée. Il se sent déshabillé, tout petit dans la pièce aveugle. Dans sa main moite, le dé est lourd.
Décide-toi ! Le ton est sec.
Il regrette de ne pas avoir bu un coup pour se désinhiber. Un lancer pour tout changer. Il n’a jamais eu de chance aux jeux, ni en amour. Ce dicton débile qu’on lui a servi jusqu’à la nausée. Ras la casquette de ce quotidien défraîchi.
Il lance, de tout son cœur, de tout son souffle, il ferme les yeux. Ne pas perdre la face.
La roue tourne, faites vos jeux ! Ironise le démon.
Le dé roule, rebondit et s’arrête. Les jeux sont faits.