Un peu de sel

L’eau de pluie de samedi tapait fort sur les vitres. Le ciel était gris. L’air était agité, très agité. La salle de sport était vide, sans vie, juste le bruit du tapis de marche.
Un épi rebelle sur la tête, Pierre était monté dans le bus, sans un sou en poche. Il avait pris sa carte bleue qui, en fait, était d’une toute autre couleur que celle qu’on lui attribuait. Tout comme le ciel de ce samedi.
Pierre voulait mettre un peu de sel dans son quotidien. La première idée qui lui était venue était de monter à dos d’âne. En ville, il était difficile de mettre ce projet à exécution, alors il avait pris le bus, il y aurait sûrement des ânes dedans.
Les écouteurs dans ses oreilles, il s’était assis près d’une fenêtre pour voir la pluie tomber. Le son de la radio le berçait, tout comme les amortisseurs de ce bus électrique. La pub s’était arrêtée, le programme avait repris et lancé une ode à la paix, une sorte de Imagine de John Lennon. Puis, un autre morceau plus dansant, un son caribéen. Pierre s’était imaginé, cocktail à la main, sur une île pleine de sable fin, de lagons bleus translucides.
Non, il n’y était pas et il n’y serait sûrement jamais. RAS dans sa matinée, RAS dans celle d’hier non plus. Prendre un bus pour changer le train-train n’avait pas encore eu un seul effet.
Pierre avait pris son calepin et avait noté : il faudrait faire voter une loi, pour que chacun se sente roi de sa propre vie, que chacun se permette d’être soi. C’était clair et net. Quelle loi pourrait faire cela ? N’étions-nous pas tous nés libres et égaux en droit ?
Le bus s’était arrêté. Fin de trajet. Il fallait reposer le pied au sol, un trottoir trempé, un caniveau transformé en torrent. Pierre s’était abrité sous un échafaudage. Évidemment, il n’avait pas pris de parapluie, évidemment, il n’avait pas de capuche à sa veste. Peut-être que la pluie aplatirait son épi.
Il avait tenté une rue à droite, une rue à gauche puis, par dépit, il s’était engouffré dans un bar, ou un pub comme on disait dans certains pays. Il avait demandé un demi ou une pinte, ça aussi, ça dépendait du pays. Est-ce encore d’autres mots qu’on utilisait dans les pays où il pleuvait encore au mois de mai ? Question sotte et idiote. Avait-elle un quelconque intérêt ? Pierre se posait vraiment beaucoup trop de questions, du genre : y avait-il plus de rats dans la ville les jours de pluie ? Ou quittaient-ils le navire ?
Ils étaient coriaces ces rats, pensait Pierre. Ça l’étonnait même qu’on dise « les rats quittent le navire ». Ils s’accrochaient à la vie ces nuisibles. Alors, pourquoi lui, dans sa vie sans relief, n’y arrivait-il pas ? Il n’était pas rat, c’était certain. Il était doux comme un agneau, naïf comme un lapin de sept jours.
Et en ce samedi pluvieux, il voulait juste essayer quelque chose de nouveau. Mais pas trop.

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