Je suis ce cadeau inattendu, un banc de jardin, arrivé un peu par hasard chez Françoise il y a trois ans. Un voleur s’était introduit chez son frère Michel et avait décidé, pour s’enfuir, de sauter par la fenêtre, depuis le premier étage de la maison.
Ce jour-là, j’étais tout simplement au pied du mur de la maison, comme d’habitude, et je me suis retrouvé avec cinq lattes de ma belle assise en bois, complètement cassées !
J’ai alors cru que ma fin était venue.
Mes propriétaires ne se sentaient plus suffisamment en forme pour me redonner une nouvelle vie ! Il faut dire que ma longueur de 2,25 m et mes pieds en fonte « artistique » me rendaient vraiment lourd mais comment imaginer, pour qui m’avait connu et fréquenté depuis si longtemps, que mon dernier voyage puisse être celui de la déchetterie ! Pendant presque deux siècles, j’avais partagé toute l’histoire de cette famille ; j’avais assuré le repos des anciens après leur travail et j’avais accompagné quatre générations : des femmes enceintes, des mères et leurs nourrissons, des petits grimpeurs, des joueurs, tous contents de partager avec moi quelques moments… C’est alors que Michel a eu une idée géniale, il m’a confié à sa sœur et à son compagnon, tous deux, ravis de bricoler et de prendre soin de moi. Ils m’ont tout simplement démonté et transporté chez eux et dans son atelier de menuiserie, Valentin a créé cinq nouvelles lattes semblables aux dix autres. J’ai été complètement décapé ; mes pieds de fonte ont été traités pour résister à la corrosion, et je me suis vite retrouvé repeint, réassemblé, accueilli, prêt pour la vie en banlieue parisienne !
Vous me voyez là, installé à Ste Geneviève des bois, sur la terrasse, côté sud, avec une vue plongeante sur le jardin.
Ma longueur est désormais d’un mètre quatre-vingts, ce qui est suffisant pour asseoir quatre personnes et je suis donc un peu plus léger. Comme vous pouvez le voir, ma couleur est verte désormais, et je suis assorti aux bacs à fleurs et à la rambarde de la terrasse.
On croirait que j’ai toujours vécu à cet endroit !
J’ai souvent la visite de Françoise qui est très attentive au cheminement du soleil au cours de la journée. Aussi, dès que le soleil m’éclaire de ses rayons, elle arrive à trouver le moyen de me rejoindre en compagnie d’un livre ou d’un texte à écrire. Elle adore contempler le jardin, assise sur ce qu’elle appelle maintenant « son banc ». C’est avec moi aussi qu’elle observe, l’hiver, les mésanges qui viennent se nourrir sur la mangeoire installée dans l’immense buis. C’est là, qu’au printemps, elle contemple ses deux merisiers, en pleine floraison.
Alors, parfois, je pense au hêtre pourpre qui m’accompagnait dans mon ancienne demeure et à mes anciens propriétaires. Je sais qu’elle pense à son frère plus qu’à moi, mais cette attention qu’elle a pour moi, au quotidien, me touche beaucoup.
