Cher whisky

Cher whisky, j’ai oublié de mettre la date, et puis que tu viennes des États-Unis, du Japon ou d’Écosse, je ne sais même pas où t’écrire. En tout cas, je voulais te dire que tu es imbuvable; pourtant l’idée de toi me plaît assez : un goût de tourbe, de terre brûlée par les hivers, de labour et de labeur, l’idée de grands fûts, l’idée de l’Irlande ou de ces grandes affiches du clan Campbell. L’idée de faire tourner ou pas le glaçon dans le verre taillé, l’idée de s’asseoir dans le gros fauteuil club sous les kentias du Grand hôtel, l’idée de l’épais tapis, du feu, de la journée passée dehors par grand froid, l’idée d’éveiller l’homme en soi, ou bien l’animal, mais n’est-ce pas la même chose, l’idée d’un plaisir à la fois solitaire et partagé, d’un décor, d’un parfum, d’une heure. Seulement voilà, 40°, c’est trop. Trop chaud, trop fort, trop haut, trop. On peut à peine tremper ses lèvres on est déjà brûlé jusqu’à la cendre. Quel est ce feu que tu portes en toi ? Par quel volcan t’es-tu répandu sur le monde ? Quelle soif saurais-tu étancher ? Le meilleur de toi n’a pas d’âge, ou celui qu’on veut bien te donner. Whisky, je t’écris pour t’envoyer paître, pour te dire combien j’aimerais qu’on te jette avec l’eau du bain, à la Russe, par-dessus l’épaule, tant la moutarde me monte au nez. Je ne pourrai jamais te connaître et je t’en veux.

Signé : Anatole Legrand, Président Directeur général, Alcooliques Anonymes.

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