Comme un arbre remarquable

Ô, flâneur ébahi, comme le temps est passé. Tu as quitté ta fenêtre, ta fiole de whisky, et tu marches en paix, sur le sable, tes pieds nus que recouvrent et découvrent les vaguelettes. C’est le soir et la chaleur du jour est tombée, comme tombe le rideau après le spectacle. Tu aimes cette heure qui te dit que la Terre tourne, dans la paix comme dans la guerre, elle tourne. Et la ligne d’horizon est là, à ta gauche, elle est là encore un peu mais bientôt elle disparaîtra. L’air est devenu doux comme un caresse et ce clapotis qui baigne tes pieds est comme un baiser un peu mouillé. Le jour est lent à mourir et tu repenses à tes engagements comme à de vieux amis oubliés qui resurgissent du passé.
Tu es vraiment âgé, c’est vrai. Sur les films de tes jeunes années récemment visionnés, tu ne t’es pas tout à fait reconnu. Tu es devenu un autre. Plus à l’écoute depuis que tu n’entends presque plus rien. Tu vois avec plus d’acuité ceux qui t’entourent, toi qui chausse à chaque instant tes loupes. Et tu profites de mieux en mieux de l’odeur de la viande grillée, des pommes de terre sautées, du rhum sucré dégoulinant du baba, toi qui tremble pour chacune de tes mauvaises dents.
Ton corps fait des nœuds et ton visage ridé te font ressembler à ces arbres remarquables qui nous émeuvent parce qu’ils sont vieux, tordus et vivants. On dit de ces êtres qu’ils sont remarquables. Toi, tu es mon père remarquable. Puisses-tu être immortel, au moins dans ma mémoire.

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