Romain marchait

Il marchait le poing dans la poche. Il faisait froid. Tellement froid qu’il ne sentait plus ses doigts. Sur la longue route entre bitume et chemin de terre, ses pieds glissaient un peu sur l’une des deux rives. C’était le noir la nuit et le froid ; et il marchait sans lumière pour ne pas se faire voir. Chaque enjambée l’éloignait un peu plus de la terre des aïeux et chaque souffle dans la buée durcissait son poing fermé dans sa poche. Un poing que l’on sent comme la rage et la peur et des doigts si froids.

Petites jambes rapides et talons qui tapent mais qui cependant ne suffisent à éteindre la mélodie dans la tête. Le départ précipité. Le sac, les chaussettes et les pulls. Les réserves de nourriture. La voix de la mamie sur son fauteuil

-Maintenant il faut te sauver mon garçon

-Et toi ?

-Et moi je suis vieille, ça ne sert à rien. Toi dans ta jeunesse tu as encore le choix.

 

Romain marchait en lisière de forêt prêt à tout moment à se jeter dedans pour ne pas finir dans la gueule du loup. Le loup c’est l’homme, l’homme d’en face qui se dit que la famille de Romain ne sont plus des hommes mais juste des juifs ou des bannis, ou… Pourrait-il tirer, l’homme d’en face, s’il savait qu’ils étaient aussi des hommes ?

A chacune de nos ères le loup paraît avec un visage toujours différent, et les poings se durcissent dans les poches quand on quitte la terre que l’on aime, dans le froid.

Ce contenu a été publié dans Atelier au Long cours. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire