Rêver….

Peut-on rêver les yeux ouverts, peut-on rêver pendant l’atelier d’écriture ?

Non, pendant l’atelier d’écriture, nous convoquons nos rêves récents ou anciens, ceux qui ont fait pleurer, ou ceux qui nous ont réconfortés ou encore, ceux qui nous ont réveillés en sursaut. Ceux qui nous feront écrire sont ceux qui nous ont laissé une trace indélébile tant ils étaient réconfortants ou inquiétants.

Je me souviens d’un rêve d’enfant, un rêve récurrent qui m’a inquiétée. Au fil du temps je l’ai convoqué encore et encore pour essayer de le comprendre et surtout pour connaitre la fin de l’histoire, pour faire qu’il se termine bien.

Petite fille, lorsque les adultes parlaient de moi, ils employaient les mots sage, gentille, joyeuse, drôle – ça c’était avant-, avant la grande catastrophe qui allait bouleverser ma petite vie.

Les grands mentent aux enfants et croient par leurs artifices nous éviter les chagrins. Ils déguisent la vérité avec des mots choisis pour faire taire leurs angoisses et leurs émotions. Nous, les enfants sages, nous écoutons avec beaucoup d’attention, nous sentons de façon presque animale que quelque chose ne va pas. Pour moi c’est que maman n’est plus là depuis plusieurs jours.

 Je la cherche, la réclame… Il ne faut pas s’inquiéter, elle va revenir, en attendant grand’ mère s’occupera de toi. Mais elle ne m’a pas dit qu’elle partait, même pas un petit baiser d’aurevoir. Elle ne fait jamais cela.

Maman ne reviendra pas. Au bout d’un certain temps mon père s’est décidé à parler. Elle est partie et puis c’est tout, fin de l’histoire, nous n’en reparlerons pas.

Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse, alors moi je vais essayer d’en trouver. Les adultes ne se méfient pas de moi qui joue juste à côté d’eux. Je suis très occupée avec mes poupées mais en réalité tout mon être tendu, en alerte. J’écoute, j’écoute intensément. Je voudrais que maman existe dans leurs conversations.

Après avoir cherché des signes de sa présence je cherche des signes de son absence. Je fouille partout dans la maison mais elle a disparu. Il n’y a plus rien d’elle, pas même une photo.

Dans ma tête son visage s’efface. Lorsque je ferme les yeux je ne vois plus ses yeux bleus, son sourire, ses beaux cheveux blonds, petit à petit elle disparait. Je force ma mémoire encore et encore jusqu’au mal de tête mais rien n’y fait : elle n’est plus là. Depuis ma naissance notre vie se conjuguait à la première personne du pluriel -nous- ce ne sera plus jamais nous, il a été remplacé par la première personne du singulier -je. Je reste seule avec mon chagrin. Seule malgré les autres autour de moi, seule à en mourir.

Je ferme les yeux dans le noir de ma chambre, je m’endors très vite en espérant la retrouver dans mes rêves. C’est de grand’mère ce conseil.

Pour l’instant, maman n’est pas venue. Mon rêve, toujours le même, me conduit au-delà d’une forêt. Au loin une charmante petite maison entourée d’un jardin fleuri. Très longtemps je suis resté là. Rêve après rêve cette maison ne change pas et je la regarde à distance. Un jour, ou plutôt une nuit, je me suis approchée, juste pour voir les fleurs de plus près, les respirer… J’hésite à franchir le portail qui mène à la maison. Quelque chose me retient, c’est interdit !

Une autre fois, je suis entrée et ai marché jusqu’à la porte puis je suis repartie en courant effrayée par cette audace soudaine.

Le matin j’oublie mon rêve et commence la vie simple des petites filles de mon âge. Les nuits où je rejoins la petite maison, je reste devant la porte n’osant ni frapper ni regarder à travers les rideaux. J’attends que quelqu’un m’aperçoive ou me dise d’entrer. Cela n’arrivera jamais.

Les années ont passé sur mon chagrin. Un jour ou plutôt une nuit, la porte de la maison est ouverte, comme une invitation -enfin-, quel bonheur !

Ce rêve est ancré en moi, lorsque je pense à mon enfance, je pense à mon rêve.

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3 réponses à Rêver….

  1. aliette dit :

    Ce texte est très émouvant et juste, il est écrit à hauteur d’enfant, il me touche beaucoup. Merci

  2. Emmanuelle P dit :

    Je rejoins le commentaire d’Aliette ; je suis très touchée de l’émotion qui envahit ce texte très fort. Merci Hélène !

  3. Sylvie W dit :

    j’aurais aimé donner la main à l’enfant et l’accompagner jusqu’à la porte de son rêve. Quelle belle émotion ce texte!

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