L’éveil

Le vide, le silence, une respiration sans urgence et sans enjeu. Comme c’était bon. Cela n’avait duré que 30 secondes. La sonnerie avait brisé cet exercice de silence et tout un monde avait déboulé. Un monde de cris et de colères. Tout ce qu’elle détestait. Ces affiches racoleuses, ces slogans aguicheurs, ces polémiques cathodiques. Elle n’en pouvait plus. Elle était exténuée, frippée comme un torchon au sortir d’un essorage à douze cents tours minute. Deux larmes naquirent aux plis de ses yeux.C’était cela, la conscience dénuée de sens l’attristait. Tous couraient, s’excitaient à la conquête du pouvoir ou de la reconnaissance. La profondeur et l’intériorité avaient déserté la planète. À l’évidence la barbarie et la vulgarité régnaient. Cécile était bouleversée par la puissance de ces trente secondes. Jamais au cours de ses séances de yoga ou même lorsqu’elle avait expérimenté certaines plantes sacrées, elle n’avait eu ce genre de révélation. Comme une enfant, une marguerite à la main, elle découvrait son monde intérieur. Elle dédaigna, sa quête assénée de féminité, toutes ces injonctions à la mode, son attrait pour la possession, toutes ces valeurs nauséabondes. Elle détaillait tout un tas de sensations nouvelles qui s’éveillaient en elle. Un plaisir d’être, de vivre, de ressentir, la submergeait. C’était comme une renaissance. Elle posa son crayon, regarda chacun des participants, se leva et quitta l’atelier d’écriture, sans un regard ni un mot pour l’assemblée ébahie. Démarrer cette séance d’écriture par trente secondes de silence avait éveillé un volcan en elle. Elle abandonnait le regard que le monde portait sur elle. En claquant la porte, elle sentit une fraîcheur dans sa bouche. Inutile de l’écrire se dit-elle, le vivre pleinement valait bien plus. Après cinq étages qu’elle dévala, la lumière d’un été hésitant, l’accueillit en lui faisant cligner les yeux. Elle se sentit belle d’être elle même et cela la remplit. Ses pensées prirent un tour qui l’étonna. Elle décida sans réfléchir aux conséquences, qu’elle ne rentrerait pas pour rejoindre Philippe. En levant les yeux, elle découvrit la tour de la Gare de Lyon qui lui agitait l’heure sous le nez. Il était l’heure de tout changer, de se laisser aller, de renverser la table, de tout quitter sans se retourner. Quand elle entra dans la gare, le brouhaha si particulier de ces arrivées et départs l’enjoua. De regarder le tableau d’affichage avec ces destinations ensoleillées la raffermit dans son choix. Marseille lui tendait les bras. Le bleu la réclamait. Sa famille y était passée en provenance du Magreb. C’est là à nouveau, que tout commencera pour Cécile.

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Une réponse à L’éveil

  1. Sylvie W dit :

    C’est très drôle de lire ce texte qui reprend tant de sujets tout juste esquissés en début d’atelier pour en faire une histoire. Bravo.

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