Se souvenir et vivre !

Mon téléphone a bipé. Sale manie de dormir avec. Pas bon pour la santé à ce qu’on dit. Tout ce qu’on dit aujourd’hui pour notre santé m’afflige. Vivre dans la peur dans un monde aseptisé me rend dingue.


J’ai attrapé le portable. « J’arrive. Je viens passer le week-end avec Toi. Besoin de te voir. Besoin de parler. Besoin de l’air de la campagne. Besoin de marcher. Besoin de champagne, de vin, de cochonneries pour m’écouter grossir! ».


Julie. Ma Julie. Une merveille. Une rencontre improbable dans une piscine. Elle était arrivée en retard à un cours d’aquagym. Elle avait alors pris son élan, sauté et éclaboussé tout le monde. Jamais vu ça. J’avais éclaté de rire. Pas les autres naïades et surtout pas le prof. Elle s’était mise à côté de Moi. Quelque trois-quarts d’heure et une douche plus tard, on sirotait un verre de blanc. « Après l’effort, le réconfort! » avait-elle scandé. J’avais souri et décidé que Julie, cette Julie-là serait mon amie.

Mais Julie n’allait pas bien depuis plusieurs mois. Elle vivait mal sa « chère disparue » comme elle l’appelait. « Elle me manque tellement » disait-elle en parlant de Lisette, sa grand-mère. Lorsque je l’avais rencontrée, j’avais été sidérée par son énergie et sa vivacité. Quatre vingt dix ans aux prunes et délicieusement espiègle. Elle intervenait sur tout, politique ou questions de société, tout l’intéressait. Mais plus particulièrement le foot et l’OM. Fan de Tapie, elle répétait qu’un club même quand il va mal, il faut le supporter. Elle écoutait RMC et téléphonait quand les journalistes avaient, selon elle, des prises de position ridicules. Une grande dame. Un jour, je lui avais demandé d’où venait son dynamisme. Elle m’avait alors répondu qu’à force de ne pas mourir, elle s’était habituée à vivre. Elle aimait raconter qu’elle avait aimé un homme marié dont elle avait été la maîtresse toute sa vie. Elle parlait de ses enfants, d’une de ses belles filles, la reine des gourdasses et les cartomanciennes qu’elle avait consultées toute sa vie. Les restaurants, les promenades, les après-midis dans le jardin avec des coupes de champagne, c’était magique avec elle. Chapeau bas, Lisette, chapeau bas.

 

Un petit virus avait mis la planète à genoux et là, elle avait mis un genou à terre. Le reste avait suivi. Julie n’avait pas supporté. Moi non plus. J’avais trouvé cela tellement ridicule. Alors quand le cœur de Julie battait à l’envers, elle venait se ressourcer chez moi. L’air de la campagne, les balades en forêt, les montagnes au loin et mes chats qui la câlinaient, ça la réconfortait. Julie si gaie, si drôle, si pleine de vie mais si déprimée me parlait d’elle. On évoquait les souvenirs à grands coups de « Tu te souviens le jour où… » et « Oh et la fois où… ». Elle pleurait, je la réconfortais. Oui, Julie, le temps est assassin. Mais nous avions une richesse infinie : les souvenirs.  C’est bon de parler des morts, on continue à les faire vivre.

 

Oui, voilà, c’est ça que j’vais lui dire « Julie, ce n’est pas parce que les gens sont morts qu’ils n’existent plus ». Putain de phrase. Non, j’vais davantage dire « Viens Julie. On va se faire une méga promenade à pedibus jambus, atterrir dans un resto où nous allons nous taper la cloche, rentrer se fumer un petit pétard en dégustant un vieux rhum. On va pas se laisser abattre ma Ju ».

 

J’en étais là de mes réflexions, toujours couchée entourée par mes deux gros chats, quand un violent coup de klaxon nous fit sursauter tous les trois. Je me suis empressée d’aller ouvrir. « T’es pas encore levée ? T’as vu l’heure ? Il est 10h. T’es devenue juste fainéante ou bien ? Je fais un café. J’ai pris les croissants et le dernier pot de confiture qu’elle m’a donné. De la gelée d’orange. Non de la marmelade. Me demande pas la différence. J’sais pas. Va te doucher. J’prépare tout. »

 

Les chats l’ont regardé, un peu agacés. Le tsunami Julie dérangeait leur monde. Moi, je souriais. Mon amie était là. « Putain Rosalie, magne-toi la rondelle. Il fait beau. Allez roule ma poule ! »

 

Le week-end commençait. On allait vivre. Vivre et profiter du présent. Tout simplement. 

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Une réponse à Se souvenir et vivre !

  1. Aliette S dit :

    Quel texte sympathique !!
    Merci à Julie, elle m’a réveillée aussi, à la lecture !
    Un petit mot pour signaler Au bonheur des morts de Vinciane Despret qui raconte joliment ce que vous dites des efforts que fait Rosalie pour aider Julie à émerger de la perte de sa grand-mère.
    Il est suivi d’une 2e ouvrage Les morts à l’œuvre, que je n’ai pas lu mais dont j’ai entendu dire beaucoup de bien. Lecture facile avec un contenu très intéressant sur la manière dont on fait vivre les morts et dont ils nous font agir.
    Aliette

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