Espions sous tension

Les écouteurs vissés aux oreilles, elle écoute un podcast pour atténuer le bruit de la rue, pour s’isoler de tous ces gens. Les gens sont fous, tous fous, elle a vraiment besoin de cette immersion dans un son, un mouvement hors de son espace-temps. La publicité lui perce les tympans. Elle voulait juste écouter une histoire, un documentaire, une interview, n’importe quoi sauf le bruit de la rue. Elle aurait aussi préféré fermer les yeux pour oublier la marche à contre-sens, les gens qui se bousculent. Mais c’est trop dangereux. Même couper le son, c’est un peu dangereux.
La publicité se termine. Une voix grave et rauque commence le récit : Il s’assied gentiment sur la chaise. Elle lui attache les mains derrière le dossier, sert très fort. Il n’a pas peur, il est serein. Pourtant.
Elle lui chuchote à l’oreille : J’emporterai ton sourire avec moi. Il ne bronche pas, il ne tremble pas. Il se redresse même. Elle suit son regard, elle tente de percer ses secrets. Il reste stoïque, impassible. Seul son sourire le trahit. Il aime ce jeu. Il n’en comprend pas l’enjeu. Elle tourne autour de lui. Elle ne parle que lorsqu’elle est dans son dos. Elle se penche, ses cheveux lui caressent la nuque. Il réprime un frisson.
Pour ne pas perdre patience, elle tourne dans la pièce, danse presque. Pour passer le temps, elle place et déplace les objets. En rangeant, elle trouve ses trésors d’enfance. Il pâlit soudain. Elle ne doit pas voir cela, elle ne doit pas ouvrir cette boîte. D’une lame de couteau, elle fait sauter la serrure. Dedans, un tas de photos, une tétine, un doudou usé, des billes, des pièces, des babioles en vrac. Elle fait défiler les photos, sourit, se moque, le toise en cherchant des ressemblances avec la personne sur la photo. Il est plus beau en vrai, il n’est pas photogénique.
Il devine ses pensées et lui dit : J’en veux à personne, j’ai jamais su poser pour une photo. J’avais juste envie de jouer. J’en avais marre, chaque jour, j’entendais : viens, on va prendre une photo. En souvenir. Qu’est-ce-que je m’en fous moi de ces souvenirs !
Elle pose son index à la verticale sur sa bouche, l’intimant de se taire.
Elle sort, elle enjambe la rambarde pour se glisser vers le tas de bûches. Elle revient avec du bois qu’elle jette dans la cheminée avec fracas. Il continue : Jean aimait le mois de janvier. Elle se demande qui est Jean, s’il est sur les photos.
En sautant, elle a glissé sur la neige, elle a aimé la sensation molle et froide. A l’intérieur, elle a soudain mal. Il a arrêté de parler, elle ne sait pas s’il regarde dans le vide ou s’il la fixe dans un dernier espoir. Elle frotte sa cuisse, son genou. Il lui fait signe du menton. Elle baisse les yeux dans la direction mentionnée. Elle regarde sa jambe gonfler.
Ça serait bien de me détacher maintenant avant que tu ne puisses plus marcher. Elle hésite. Elle avait le dessus, elle ne l’aura plus. Est-ce si important d’avoir le dessus dans cette situation ? Ils sont seuls, il fait froid, la cheminée fume et réchauffe la pièce intensément. Elle s’assoit à califourchon sur ses genoux. Sa jambe lui fait un peu moins mal. Elle se penche sur lui pour desserrer les liens, juste un peu, pas trop.
La publicité coupe bruyamment.

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