Civilisation

La neige avait effacé toute trace de la route qui menait aux dernières habitations. Plus de voitures pour perturber la poudreuse. Et plus personne pour vivre dans les quelques maisons en lisière du village. Des toits des rideaux de stalactites s’étaient formés, et personne n’était là pour les faire tomber. Ça et là, sur la neige, des empreintes animaient la blancheur. Oiseaux, chats et chiens redevenus sauvages, belettes et fouines, renards et sangliers. Pas de loups pour l’instant, mais leurs hurlements se faisaient parfois entendre au loin, lorsque le vent soufflait de l’est. La végétation aussi avait envahi les espaces, avait craquelé béton et bitume, était grimpé le long des façades. En cette saison, il n’y avait plus que les résineux à avoir gardé leurs couleurs. Les buissons fruitiers étaient endormis sous la neige, préparant les prochaines récoles des souris et des mulots. A l’automne, c’était une débauche de champignons qui s’étendaient au pied des bouleaux rougis, attendant sans risque de cueillette de retourner à la terre.

Du creux d’un des arbres dénudés surgit timidement un écureuil, son pelage fauve une des rares tâches de couleur sur le paysage blanc et noir. Il descendit le tronc, se lovant autour de toute sa longue queue. Il avait faim. Si sa mémoire primitive ne lui faisait pas défaut, il se souvenait avoir encore quelques cachettes de noix en réserve. De quelques bonds sur le sol, il se rapprocha d’une des maisons vides. S’aidant de ses griffes sur les lézardes de la façade, il gagna le rebord d’une fenêtre et entra par le carreau cassé. Il faisait presque aussi froid dedans que dehors. Entre les meubles couverts de poussière et de saleté, il se faufila jusqu’au salon. Le fauteuil était toujours là. Au printemps dernier, il était venu y chercher de la bourre pour rendre le nid douillet à ses petits. A l’automne, il avait rempli le trou creusé de ses pattes de noisettes et de faines. Par chance, elles étaient encore là. Aucun concurrent n’était venu voler son trésor. Lui n’avait pas peur des restes laissés par les hommes, mais ça n’était pas le cas de tous. Il prit quelques noix, juste ce qu’il pouvait emporter. Il faudrait revenir.

Plus lentement qu’à l’aller, les pattes encombrées, il ressortit à la lumière et, alourdi, se dirigea vers son arbre. La montée fut plus laborieuse que la descente. Arrivé à son nid, avant de décharger ses provisions, il jeta un dernier regard derrière lui. Tout était calme. Sa forêt s’étendait au delà de tout ce qu’il connaissait. Le soir commençait à tomber et le soleil pâle entamait sa descente derrière le réacteur nucléaire éventré.

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