Félicie ne s’épilait plus. « L’homme descend du singe, eh bien, moi, je me reconnais en la guenon ! ». Quelques volumes d’eau plus ou moins ferrugineuse plus tard, elle ronflait à réveiller le réfectoire de l’école transformé en salle de spectacle.
Félicie avait perdu la tête, sans même avoir vu Suzette, dont la dernière coupe de cheveux faisait jaser les jours de marché.
Félicie était désespérée, au point de se taire. Mais pourquoi ce silence ?
Je vais vous le raconter.
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Félicie était si jolie, et répétait en boucle qu’elle voudrait bien réussir sa vie. Elle s’imaginait sur une scène montée devant des arbres en feuilles d’apparat. Sa voix cristalline avait charmé le bourg. « Tout le monde viendra me voir toute petite ! ». Elle en était certaine. Elle allait percer. Tout donner, et mourir sur scène.
Félicie a grandi, elle a séduit des hommes, aussi. Elle a joué les tentatrices, elle a soigné des cicatrices.
Au moment du Festival de Cannes, elle s’en allait se baigner toute nue. « C’est honteux ! » râlaient les vieux grincheux. Elle refusait les interviews, pour un shooting elle enlevait tout.
Elle n’avait que faire de sa mauvaise réputation. Mais son entourage ne partageait pas cette opinion. Un garde du corps lui fut adjoint. Un gorille balèze, qui présentait bien.
Elle l’embarqua dans ses tournées, le mena du bout de ses nénés. Et… elle s’attacha à lui.
Il était très amoureux des belles carrosseries, celle de Félicie, comme celle d’Elodie. Elodie c’était sa bagnole, avec laquelle il s’est planté en revenant de Brignoles.
La mort précoce du gorille l’avait beaucoup affectée. Aussi Félicie se mit-elle à boire pour oublier. A force de se faire rabrouer, parce qu’elle avait l’alcool bavard et outrancier, elle choisit le silence, témoin de la violence de son désarroi.
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Ces années folles appartiennent au passé. Pour elle, à nouveau, la vie va commencer. Avec rage elle s’est emparée de cire pour retirer les poils disgracieux. « Voilà, c’est moi, en mieux », proclame-t-elle devant son miroir. On demande à voir pour le croire.
Elle est revenue en bord de mer, et pudiquement s’est remise à nager, respirer les rayons du soleil, choisir d’aimer un bel inconnu, qui, tout naturellement se baignait nu. Elle s’est couchée à côté de lui, a perçu qu’il en était tout ragaillardi.
Plusieurs fois elle s’est réveillée dans le même lit que l’inconnu, qui à ce moment ne l’était plus. Ils ont vécu une belle histoire, faite d’amour et de gloire. A lui les photos, à elle les plateaux. Elle a voulu inverser les rôles, il a sursauté : « Non mais tu rigoles ? Tu as la grâce d’une cagole ! ». Ce fut le mot de trop. Outrée, elle lui tourna le dos. « Sombre idiot ! ».